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Houses of the Holy

Dancing Days

Bien plus torride que toutes les "danses de l'été" officielles dont le sex appeal est réglé au degré près par les chauffagistes de TF1, ce Dancing Days qui ouvre brillamment la seconde face. L'effet est peut-être dû avant tout à un riff capiteux qui, sous ses faux airs de ritournelle sur trois notes, s'avère être un assemblage kaléidoscopique de multiples pistes de guitare, qui peut même évoquer l'écho distordu d'un orient fantasmé à la White Summer ou Black Mountain Side. Pas un hasard, d'ailleurs, si ce titre a été repris par Page et Plant lors de leur tournée Unledded, accompagnés d'un orchestre égyptien dont les violons lancinants venaient remplacer la partie de slide guitar qui hante cette version studio. Mais faut-il vraiment chercher à rapprocher cette chanson de ce que l'on connaît déjà? Il vaudrait mieux la prendre tout simplement comme une nouvelle preuve du génie sans limite de Jimmy Page, dont l'inspiration a depuis longtemps largué les amarres qui la reliaient au blues, au rock'n'roll ou à n'importe quel idiome musical référencé. Alors à l'écoute de ce titre, les filles se mettront à ondoyer du ventre, et on dansera, oui, mais on ne sait pas trop sur quel pied : sur le couplet notamment, émerge bizarrement une guitare droite comme un I qui se prend quasiment pour la Telecaster de Keith Richards, et il y a aussi ce rythme carré et sans fioritures entretenu par Bonzo, qui confère à l'ensemble un punch bienvenu qui ajoute à la richesse de cette chanson. A côté de ça, John Paul Jones trouve encore le moyen de nous prendre de biais avec une excellente partie d'orgue mi-psychédélique mi-bancale qui a le bon goût de ne s'inviter à la fête qu'à partir du deuxième couplet. La façon dont les musiciens parviennent ainsi à faire progressivement monter la température ambiante à partir de ces quelques éléments est une fois de plus particulièrement subtile. Plant n'est pas en reste, avec cette ligne vocale diablement originale et magistralement chantée. Car avant d'être un hurleur sur 4 octaves, il est avant tout un chanteur très doué qui sait user à l'occasion d'un vibrato charmeur (n'oublions pas qu'Elvis figure parmi ses idoles) et ici, même quand il hausse légèrement le ton, vers la fin, sa voix reste soul et veloutée. Chaude ambiance, donc, et la bonne nouvelle, c'est que le retour sous nos fraîches latitudes n'est pas pour tout de suite, le Zep ayant décidé pour le morceau suivant de faire escale à la Jamaïque...

Led Zeppelin

D'yer Mak'er

Petite escale jamaïcaine pour le Zeppelin, à une époque où l'ïle n'était pas encore sujette au tourisme musical de masse... Il faut dire que Page et Plant, dotés d'esgourdes particulièrement affûtées, avaient pressenti depuis des années que les musiques de là-bas, surtout appréciées des émigrés antillais et des skinheads, étaient destinées à venir se fondre dans le creuset du rock'n'roll. Notre Jimmy débarque donc tout sourire, en bermuda et chemise à fleurs (attention, on parle d'un type qui a eu l'audace d'arpenter les scènes du monde entier vêtu d'un pyjama de soie orné de broderies sataniques), bien décidé à ramener quelques clichés (rythmiques) de son trip à Kingston. Le problème, mais c'est là que ça devient intéressant, c'est que Dy'er Mak'er est encore une de ces chansons pluvieuses dont Led Zeppelin a le secret. La faute, en partie, à Bonham, qui balance dès l'intro des hallebardes délicieusement glacées sur le crâne de l'auditeur médusé. Robert Plant aussi a l'air d'avoir oublié son K-Way, on le retrouve la queue entre les jambes à supplier piteusement sa douce et tendre de ne pas le laisser planté là, dans la veine gentiment débile d'un Good Times Bad Times par exemple. Il paraît que les paroles définitives ont été écrites à dernière minute (ça, on veut bien le croire) vu que la première mouture avait été perdue en route... Pourvue de paroles sensées, et sans les plaintes vagues et molassonnes de Plant qui la désamorcent complètement, cette chanson aurait sans doute été majeure. Car D'yer Mak'er n'est pas au reggae ce que The Crunge est au funk : les deux chansons ont en commun une certaine légèreté et une rythmique irrésistible, mais celle-ci n'est pas un simple pastiche, c'est du Zeppelin pur jus. Jones est discret, mais Page nous gâte encore une fois. Le motif tarabiscoté de départ n'est qu'un cousin lointain des standards jamaïcains, et le groupe ne cessera tout du long de prendre des libertés avec le rythme syncopé typique. Quant au refrain plombé et glacial, c'est une véritable douche froide pour les oreilles, contrastant brillamment avec le couplet ou le solo sucré-salé d'un Page peinard. Mais on va voir sur le titre suivant que ce sémillant G.O. peut aussi se transformer en maître de l'épouvante...

No Quarter

Typiquement le genre de chanson qui vous colle des frissons partout. Déjà, bien sûr, parce que c'est un morceau somptueux, miraculeux, ouvragé par quatre artistes en état de grâce... Mais aussi parce que, dès les premières notes fantomatiques de l'introduction, la température ambiante tombe brutalement en dessous de zéro. On savait depuis Good Times Bad Times que Led Zeppelin domptait comme personne la fureur et silence. Sur ce morceau, il nous montre qu'il sait aussi naviguer avec subtilité entre ces deux extrêmes, et susciter du même coup des sensations inédites chez l'auditeur. Par la variété, la richesse et la finesse de son orchestration, No Quarter peut faire penser à une musique de film. C'est peut-être pour ça qu'il est si difficile de ne pas voir, en écoutant le morceau, ces images de The Song Remains the Same où l'on voit un Jones inquiétant sapé façon carnaval qui traverse à cheval des contrées désolées. Un petit côté western sous la neige, en effet, un genre de western métaphysique qui mettrait en scène les tribulations du dernier homme sur Terre. C'est surtout la partie de claviers de Jones, dont c'est le quart d'heure de gloire, qui plante le décor. A la limite de l'aphonie, sur le couplet, son synthé vintage évoque ces flocons microscopiques qui peuvent en même temps traverser les pores de la peau et recouvrir un continent entier d'une couche stérile. A vrai dire, il semble que les quatre musiciens se soient passés le mot pour nous faire froid dans le dos: Jimmy Page a lui aussi dépouillé son jeu jusqu'à obtenir ce riff osseux et cinglant, ou ces petites giclures aigres qui le précèdent, et Plant, dont la voix grêle se trouve ensevelie sous des tonnes d'effets, a de faux airs de viking maudit. Le morceau est long, mais en son centre, tout en douceur, se dépose une délicate couche instrumentale faite de quelques notes de piano qui le sauve de la monotonie, en même temps qu'affleure une surprenante guitare aux accents jazzy. En fait, ce sacré cannibale de Jimmy Page ne joue pas vraiment "jazz", c'est plutôt qu'il a fini par faire voler les conventions musicales en éclats pour de bon, et que son inspiration et son niveau technique du moment sont sans limite... En concert, hélas, le miracle se reproduira rarement, No Quarter servant généralement de pause-pipi pour Page, Bonham et Plant, et accessoirement, puisque the show must go on malgré tout, de défouloir à un John Paul Jones aussi bavard et démonstratif qu'il se montre sobre et subtil sur la version studio. Raison de plus pour réécouter celle-ci, et enchaîner sans transition aucune sur son exact opposé, le jouissif et cataclysmique The Ocean...

The Ocean

C'est par une bonne tranche de hard rock trivial façon Black Dog que se termine cet album plutôt dominé jusque-là par le lyrisme, la finesse et la maîtrise technique. Sur cet Ocean-là, la croisière s'amuse, OK, mais il vaut mieux quand même qu'elle ait le coeur bien accroché : le riff énorme de Jimmy Page génère des vagues hautes comme des immeubles de dix étages, la basse jouée à l'unisson renforce encore sa puissance et sa profondeur, et les roulements de batterie déferlent avec une violence rare - même chez Bonham. Mais comme dit le proverbe, une belle carcasse plombée ne suffit pas à faire voler un Zeppelin, il faut aussi beaucoup d'air, et justement, ce qui permet à la chanson de cogner aussi fort, c'est encore ce vieux coup pagien de l'alternance fracas/silence. C'est ce qui rend l'ensemble si plaisant, cette respiration, et on y revient souvent. En même temps, on retrouverait presque aussi dans ce morceau la pulsion qui animait les premiers blues du groupe, sauf que les musiciens l'ont intériorisée - et paradoxalement, alors que le son s'est épaissi et que le tempo s'est accéléré, on y retrouve beaucoup plus l'esprit voyou - sexy et menaçant - d'un Willie Dixon ou d'un Howlin' Wolf. Le jeu de guitare très relâché, voire carrément imprévisible de Jimmy Page peut d'ailleurs faire penser, de loin, au blues bancal du loup de Chicago. Page nous balance çà-et-là des riffs qu'il va encore malaxer pendant tout le morceau, les rendant tour à tour (bon sang mais il y a un téléphone qui sonne au milieu de cette chanson - je me fais avoir à chaque coup, faut dire que j'ai le même à la maison) rocailleux, bluesy ou même funky. Funky? Mais oui, écoutez-moi ce petit riff aigu, derrière les "ooooh yeah!" de Plant, le voilà, le vrai funk zeppelinien. Et ce n'est pas tout, il y a aussi plein de petits rajouts mal cadrés, jamais joués là où on les attend (mais toujours là où il faut), des bruits divers de cordes triturées, un solo très 50's au bon goût de radium... A un certain moment, ça devient carrément n'importe quoi. Parce que Plant s'y est mis lui aussi : il avait commencé en chantant comme Denis la Malice, et le voilà qui finit en se prenant pour les Platters - au grand complet ; entre les deux, il nous a raconté ses aventures de Don Juan en culotte courte - l'élue de son coeur, à qui il veut "chanter toutes ses chansons", a tout juste trois ans. A moins qu'il ne s'agisse bien sûr d'un hommage rigolo à sa fille Carmen, qui avait à peu près cet âge-là au moment de l'enregistrement. Voilà la chute de la chanson, et dans ce final délirant, c'est un peu tout Houses of the Holy qui défile en accéléré, une tempête de sons marrants, sinistres, violents, moëlleux, connus et inconnus, en même temps que s'annonce le rock viril de la première face de Physical Graffiti. Sooooooo gooood!

Led Zeppelin

Led Zeppelin - Houses of the Holy

> The Song Remains The Same > The Rain Song > Over the Hills and Far Away > The Crunge > Dancing Days > D'yer Mak'er > No Quarter > The Ocean

The Song Remains The Same

The Song Remains The Same? En VF, "c'est la même chanson"? Bien sûr que non! En cinq albums, Led Zeppelin s'est payé le luxe de nous offrir 5 titres d'ouverture très différents les uns des autres mais tous devenus des classiques, annonçant superbement, chacun à sa façon, à quelle sauce on allait être mangé sur le reste de l'album. La longue et flamboyante séquence instrumentale sur laquelle commence The Song Remains The Same ne peut effectivement être directement rapprochée d'aucune des chansons précédentes de Led Zeppelin. Il s'agit sans conteste de leur partition la plus complexe jusqu'alors, du point de vue des rythmes, des harmonies, des mélodies, et on ne peut pas la résumer à ce riff lumineux de guitare 12 cordes, exécuté par un Jimmy Page plus virtuose et inspiré que jamais, accompagné, et pas simplement soutenu, par une rythmique bondissante d'une précision impressionnante. La chanson a aussi sa part d'ombre, si on veut. Qui est clairement mise en avant sur le couplet (cette partie chantée a été rajoutée à la demande de Robert Plant, le morceau étant à l'origine un instrumental), où le groupe lève sérieusement le pied après la cavalcade du début, avec Plant qui chante d'une façon un peu lointaine, détachée. Mais le refrain laisse lui aussi un goût bizarre en bouche : alors que la musique redémarre en trombe, et que Plant se met à hurler dans un registre surnaturellement aigu, c'est paradoxalement la même grisaille qui embrume nos cerveaux. Car de la Californie à Honolulu en passant par Calcutta, on verra défiler de belles images, mais dans le fond, la chanson reste toujours la même. Quelques siècles avant Robert Plant, Lao Tseu avait écrit :"Le sage ne quitte pas son baluchon même s'il y a de beaux paysages à contempler, paisible, il demeure libre et indépendant". Cette chanson serait-elle donc un manifeste taoïste? La référence est-elle volontaire? Lao Tseu - le Vieillard Enfant. Voilà un sobriquet qui irait comme un gant à Plant sur cette chanson, qui alterne avec la souplesse qu'on lui connaît une voix cassée et presque chevrotante et des hurlements enfantins, mêlant dans une même inflexion vocale la sagesse et l'innocence, la bienveillance et le détachement. Cet effet inattendu imprègne en réalité la chanson en entier. J'ai parlé de la virtuosité de Jimmy Page sur ce titre. Il aurait pu choisir de l'étaler sans vergogne pendant 5 minutes. Mais il sait que tout ce qui brille n'est pas de l'or, et qu'à l'inverse les pépites d'or sont souvent cachées au creux des ruisseaux. Ecoutez le mixage sur cette chanson. Aucun instrument n'est rééllement mis en avant. Les motifs très recherchés de basse et de batterie sont distinctement audibles, la guitare rythmique est placée sur le même plan que les impressionnantes arabesques de guitare solo. "Parce qu'il se cache, il est est parfait. Parce qu'il est sans ego, il est pur. Parce qu'il ne s'impose pas, il vient à bout de toute chose." Par un drôle de paradoxe, ces phrases du Tao Tö King vont comme un gant à Led Zeppelin, qui traîne et entretient aussi, pourtant, l'image d'un groupe mégalomane accro aux décibels et aux effets de manche. Mais ces demi-dieux, qui se produisaient souvent dans d'improbables costumes de funambules, sont pourtant les meilleurs lorsqu'il s'agit de laisser leurs petites ambitions individuelles de côté pour s'effacer devant leur musique si belle et évocatrice, qui atteint ici des sommets de puissance et de maîtrise.

The Rain Song

Comme Lemon Song, ode à la consommation d'un fruit défendu riche en vitamine C, ou The Song Remains the Same, cette chanson porte bien son nom... En bons sujets britanniques, les quatre musiciens s'y entendent parfaitement pour retranscrire toutes les nuances du phénomène météo évoqué, de façon nettement plus enthousiasmante qu'un bulletin d'Évelyne Dhéliat. Les accords de guitare "sèche" du début possèdent la mélancolie tranquille des dimanches après-midi passés à regarder les gouttes s'écraser et rouler doucement contre les carreaux... Mais on n'est pas vraiment à l'abri, et John Paul Jones s'emploie bien vite, par quelques touches acides de mellotron, à embuer les coeurs et pénétrer les esprits perméables à la poésie. Il s'agit bien, avec Ten Years Gone et Going to California, dont l'esprit est très proche, d'une des chansons les plus émouvantes du répertoire zeppelinien - d'ailleurs la version Unledded de 1994 arrive assez facilement à me tirer quelques larmes. Le groupe y joue donc avec des sensations et des sentiments on ne peut plus humains, mais, comme sur la chanson précédente, il les enchâsse, les enchaîne et les superpose avec une logique qui, elle, dépasse l'entendement, et les place dans une perspective inhabituelle que seules la musique et la poésie sont capables de produire. Ce sont bien sûr les arrangements millimétrés et l'interprétation très subtile qui contribuent le plus à donner cette impression de familiarité et d'étrangeté mêlées. Il faut entendre Plant sussurer "Speak to me only with your eyes" avec sa voix de crooner de velours, accompagné de cette basse moëlleuse et de ce piano de mi-saison. Quant au fameux mellotron, qui est ici beaucoup plus évocateur qu'une véritable section de cordes, c'est lui qui assure tout naturellement la transition entre ce faux calme d'avant tempête et les averses électiques qui traversent la chanson et semblent libérer progressivement la sourde tension de la première partie. Jimmy Page, lui, mériterait vraiment une médaille pour son jeu retenu, encore meilleur pour invoquer la pluie que pour dynamiter le blues ou mettre le feu au rock'n'roll, et ce n'est pas peu dire. Cette splendide guitare orageuse au son net et claquant façon douche froide est beaucoup plus impressionnante, et touchante, que bien des bavardages blues des trois premiers albums. Il ne faut pas oublier non plus de remercier John Bonham, qui fait lui aussi dans la dentelle et a même sorti les balais pour l'occasion, contribuant à sa façon au feeling jazzy de la chanson. Encore une chanson sublime, donc. Led Zeppelin réussira-t-il le coup du chapeau, avec la chanson suivante? Faux suspense pour qui connaît le Zep de l'époque, la réponse est évidemment oui...

Led Zeppelin

Over the Hills and Far Away

Voilà encore une chanson particulièrement inspirée et typiquement zeppelinienne. Comme Ramble On ou What Is and What Should Never Be, il s'agit d'une créature de Frankenstein sans coutures apparentes, à qui le bon docteur Page aurait greffé une brave tête de tonton folkeux, des jambes de James Brown, un torse très velu et la main droite du diable. Le résultat de ce mélange improbable, mais on commence à avoir l'habitude, est en fait très fluide et très frais. Tout au long de la chanson, les trouvailles musicales inouïes et les riffs nouveaux fusent sans cesse, et comme il faut bien tout faire tenir en moins de cinq minutes, Page les empile avec une science impressionnante déjà à l'oeuvre sur les deux premiers titres de l'album. Du coup, il nous apprend au fil de ce morceau que le folk peut être joué avec les potards bloqués sur 11, que le hard rock peut aussi adoucir les moeurs, cependant que ses guitares sèches se mettent à transpirer sous les assauts funky de la section rythmique, qui prendra momentanément le dessus sur la mélodie lors d'une surprenante partie instrumentale très dansante au délicieux parfum seventies. Pur régal pour les oreilles que ce titre, mais comme sur son descendant direct, le superbe Shining In the Light (sur Walking Into Clarksdale), les cascades de rythmes et de mélodies parviennent aussi à faire naître dans nos esprits une myriade de couleurs et d'images. La chanson pourra ainsi évoquer une ballade aérienne au dessus des collines anglaises d'avant les usines et l'aviation civile, propulsée par un John Bonham qui a ici l'insouciance naturelle des oiseaux migrateurs, qu'un instinct mystérieux pousse à accomplir jusqu'à leur mort d'invraisemblables trajets. Et n'oublions pas le guide, l'inimitable Robert Plant, qui, tout en prenant des poses de penseur vagabond, n'en oublie pas pour autant d'inviter la première jolie fille venue à faire un bout de chemin avec lui, et plus si affinités - ce n'est d'ailleurs pas incompatible, mais qui d'autre que lui le fait aussi bien? Et quel autre groupe que Led Zeppelin parvient à produire avec autant de bonheur un exact équivalent musical à sa délicate grivoiserie?

The Crunge

Bon, tout le monde connaît les vieux clichés (aussi bêtes que les autres lieux commmuns racistes, mais ceci est un autre problème) qui circulent habituellement sur les Noirs : ils seraient dotés de caractères sexuels primaires surdimensionnés, auraient le swing dans la peau, une démarche forcément suave et féline, j'en passe et des meilleures. Eh bien à ce compte-là, ça fait longtemps que l'on sait que Led Zep est black des pieds à la tête. John-Paul Jones n'est-il d'ailleurs pas un fondu des productions Tamla-Motown? Il faut l'entendre, tout au long de Led Zeppelin II, et notamment sur What Is and What Should Never Be ou Lemon Song, dérouler son groove tranquille comme s'il avait fait ça depuis le berceau (ce qui est presque vrai). Quant à Page, c'est dans le grand bleu qu'il est tombé quand il était petit, et du coup, il a truffé le premier Led Zep de plans blues bastonnés façon Astérix et Obélix dans le Bronx. Et notre "shouter" préféré, le beau Robert, ainsi que son acolyte Bonzo, dont le teint rougeaud ne nous trompera pas, ne sont pas en reste. Depuis le premier disque, ça tangue donc pas mal à bord du Zep, et quand ils nous font le coup du morceau ultra-funky à faire danser un cul-de-jatte, on n'est qu'à moitié surpris. Cette fois-ci, ils ont vraiment sorti l'attirail complet du groupe de funk, paillettes et moumoutes afro comprises, et le résultat est à s'y méprendre. Difficile de dire qui a dégotté le meilleur déguisement : Page, avec ses cocottes typiques au son clair et tranchant (quand je vous dis qu'il sait tout jouer)? Plant, en parfait émule de James Brown, tour à tour ronronnant et rugissant, et quasiment méconnaissable lui aussi? Jones, très présent sur le morceau, avec son jeu tout en rondeur? Elle est jouissive, la puissance rythmique énorme de ce morceau, jouissif aussi, le phrasé si particulier de Robert Plant. Mais voilà, le problème du Zeppelin funky de The Crunge est un peu le même que celui du Zeppelin bluesy des débuts : ça transpire sec, mais ça sent aussi légèrement la sueur, et la machine à danser tourne un petit peu à vide. Il manque à ce morceau très plaisant et pas si éloigné, du point de vue de l'énergie et de la structure, d'un Immigrant Song ou d'un Communication Breakdown, le petit côté cross-over que l'on trouvait sur Lemon Song ou Misty Mountain Hop, tout aussi remuants mais plus personnels. Un refrain différent, plus rock, ou quelques overdubs un peu décalés comme Jimmy Page sait si bien les faire auraient sûrement enrichi le morceau, qui se serait peut-être inséré plus naturellement au sein de cet ensemble excellent mais très disparate qu'est Houses of the Holy.