Je me souviens comme je détestais ce morceau quand j'étais plus petit. Il me faisait penser, ou alors peut-être que ça me vient seulement maintenant, je ne saurais le dire, aux compositions de Noel Redding sur les albums d'Hendrix. Le genre de morceaux de pop gentillette placés là uniquement pour que le bassiste en question évite de trop la ramener. Mais il se trouve que j'ai appris à aimer les morceaux inoffensifs et débiles de Redding plus que beaucoup de morceaux d'Hendrix, et Living Loving Maid, dénué de toute lourdeur ou de prétention, me fait désormais le même effet. C'est un morceau très sixties, les choeurs ont énormément vieilli (mais je suis devenu assez pervers pour aimer ça), je me rappelle que je haïssais aussi cette guitare en chamallow et le passage où Plant chante "L-l-l-l-l-l-l-l-l-iving L-l-l-l-l-l-l-loving" (et ce solo molasson, là, mais comme les autres, je vous le chante sous la douche quand vous voulez), alors qu'il faut les prendre pour ce qu'ils sont : un petit moment de fraîcheur, qui n'est pas si mal fichu que ça en définitive, aussi riche que les autres morceaux de l'album au niveau de la structure ou de la production. Et le riff de guitare de Page, tout niaiseux qu'il est, a quand même ce son anguleux, métallique, pas très saturé mais extrêmement incisif quand même. Et puis bon, quand c'est joué par Page, Jones et Bonham, et (très bien) chanté par Plant, ça ne peut pas être complètement nul, quand même.
Là, on est à nouveau face à un chef d'oeuvre indiscutable. Je dirais qu'il faut être un peu tordu (ou au contraire, ne rechercher, dans la musique, que l'énergie pure) pour apprécier un morceau bizarre comme Heartbreaker, qui entre dans la catégorie "parfait malgré/grâce à son accumulation d'aberrations et de mutations qui auraient pu entraîner autant de tares, mais finalement, non". Avec Ramble On, sans conteste, on a affaire à une pure chanson ramassée et percutante de bout en bout comme pouvaient l'être, sur le premier album, Communication Breakdown ou Good Times Bad Times, mais qui possède en même temps la richesse et les contrastes d'un Babe I'm Gonna Leave You ou d'un Dazed and Confused. Led Zep à son meilleur, quoi... Comme sur What Is, mais sur un versant nettement plus folk, on a droit à un mélange de douceur, d'âpreté, de mélancolie et d'enthousiasme. Magnifiques enluminures de guitare en son clair, pas exactement de la rythmique, pas vraiment un solo, juste ce qui convenait le mieux à cette chanson, tout simplement. Le genre d'arabesques que Jimmy ressortira de temps en temps au cours des sets acoustiques, en concert, bluffant tout le monde comme sur l'intro de Bron Y Aur Stomp à Earls' Court. J'aime bien aussi cette espèce de son de tambour ou je ne sais quoi, qui accompagne la partie de guitare acoustique du début, et puis la guitare qui se prend pour un violon, la batterie qui commence cool mais finit sans qu'on n'ait rien vu venir sur un rythme endiablé, etc. A part ça, je n'ai aucune idée de ce dont parle la chanson et c'est sans doute bien mieux comme ça...
Premier et peut-être seul bon point du morceau: le riff est simple, certes, mais aussi très efficace. J'aurais bien aimé connaître cette période où ces gimmicks à base de pentatoniques n'avaient pas encore été tous joués, et où on pouvait donc encore s'en attribuer la propriété, façon conquête de l'Ouest, pour y bâtir des cahutes ou des cathédrales. Parmi les riffs très similaires à celui-ci, on peut citer The Girl I Love She Got Long Black Wavy Hair, de Led Zeppelin, sur les BBC Sessions (que tout le monde se devrait de posséder), en 69 aussi, ou encore Rat Bat Blue, de Deep Purple, en 1973 (qui sentait déjà un peu le réchauffé). Sinon, j'enfonce bien sûr des portes ouvertes en disant que ce morceau n'est qu'un prétexte pour laisser John Bonham exprimer toute sa virtuosité. Bon, je n'ai jamais été branché percussions, ce n'est que récemment que j'ai commencé à détecter les mauvaises pistes de batterie (l'exemple qui me vient en tête est celui de l'album d'Audioslave, où l'ancien batteur de Rage Against the Machine bat la mesure avec une platitude rare), et du même coup à apprécier les bonnes. Mais je parle là de la batterie dans le cadre d'une vraie chanson, avec d'autres instruments qui tricotent en même temps. Les soli de batterie, eux, demeurent un mystère insondable pour moi. Deuxième bon point (finalement) pour la version studio de Moby Dick, faute de place, celui-là est reilativement bref. Du coup, d'ailleurs, on ne retrouve même pas l'effet "hypnotique" que pourrait produire une exposition plus prolongée à ce genre de stimulus (il faut au moins les belles images du film The Song Remains The Same pour me tenir en haleine sur une version live, cela dit). En concert, d'ailleurs, Moby Dick n'était-il pas le moment où les trois autres s'éclipsaient backstage pour y faire des choses plus intéressantes? Mais ici, donc, on a juste un passage un peu pénible qu'on laisse passer comme on attendrait la fin d'une averse pour aller chercher sa demi-baguette. Le riff repart, et on respire à nouveau. J'aurais préféré une vraie chanson à la place, genre The Girl I Love, dix mille fois meilleure, mais bon, Page était dingue de son batteur et jusqu'à présent ce n'est pas moi qui décide des chansons qui doivent figurer sur les disques du Zep...
Bon, voilà une chanson qui commence plutôt mal, si vous voulez mon avis. Plant qui pastiche un bluesman édenté, Page qui joue son blues comme à l'école de musique, l'harmonica de Dick Rivers... Le but est sûrement de rigoler un bon coup, je suppose, le titre se prend visiblement beaucoup moins au sérieux que les "vrais" blues de Led Zeppelin I. Cette distanciation ironique - pas déplaisante sur le principe - vis à vis des différents styles musicaux visités par le Zeppelin, on la retrouvera sur nombre de titres ultérieurs, avec un peu plus de réussite, selon moi. Mais alors après, quand les dernières notes d'harmonica s'éteignent, le festival commence, avec l'un des meilleurs riffs du Zep toutes époques confondues, c'est toujours du blues, mais c'est complètement nouveau, à la fois violent, dansant, marrant, entraînant, percutant... Avec une fois de plus un John Paul Jones impeccable de classe et de swing. Sur cette chanson, l'extrême contraste entre les deux sections fait vraiment mouche, et la première partie pâlichonne prend tout de suite d'autres couleurs à la lumière de la seconde. Et lorsque revient le Plant vieux bluesman, comme un clin d'oeil, on se dit que ça y est, enfin on le savait déjà mais maintenant c'est sûr, Led Zep joue désormais sa propre musique, sur les cendres du blues, du folk et du rock 'n' roll, mais un truc totalement à la fois personnel et universel qui va influencer des milliards de musiciens par la suite. A coup sûr...
Encore une entrée en scène théâtrale pour le Zep sur ce second album. Pas grand chose à dire sur le riff, aussi mythique que l'intro de Smoke on The Water ou le refrain d'Hotel California (mais tellement meilleur!). Le son est plus ample que sur les titres de Led Zep I, un peu plus gras aussi, changement de matos oblige, il y a tous ces petits overdubs, notamment de slide guitar, qui deviendront un genre de marque de fabrique. Très travaillé, donc, ce morceau, et pourtant, il ne va pas du tout dans la même direction que le petit bijou qui ouvrait l'album précédent. Parce qu'au bout de pas très longtemps, le riff infernal, soutenu par une rythmique carrée comme jamais et magnifiquement survolé par les hurlements de Plant qui ont enfin trouvé un cadre à leur démesure, comme on dit, laisse place à une série de grincements cosmiques et de cris et grognements lascifs et, disons le tout net, carrément comiques aussi. On se retrouve en plein milieu d'une orgie chez HP Lovecraft. Les effets de stéréo, comme chez Hendrix, font un peu penser aux débuts de la télé couleur (que je n'ai pas connus), quand Mourousi s'habillait en vert pomme et en orange, pour que les gens équipés de matos dernier cri en aient pour leur argent. Et pour suivre cet intermède poilant, encore un solo d'anthologie de Page, avec un son de pitbull cocaïné bricolé à la pédale wah wah, et dont, à mon avis, n'importe quel amateur même un peu distant du Zep connaît chaque note par coeur. Et le manège repart pour un dernier tour, et pour notre plus grand bonheur, selon la formule magique déjà éprouvé sur les chansons cousines Dazed And Confused ou How Many More Times.
Quelqu'un comprend quelque chose à cette chanson hallucinante? Comment est-elle écrite bon sang? Comment fait-elle pour passer de ces accords jazzy du début au refrain très heavy et accrocheur, en passant par ces choeurs angéliques, pour aboutir, encore une fois assez vite, à un solo au bottleneck qui évoque presque une guitare hawaïenne, sans qu'on ait jamais l'impression d'être sur des montagnes russes (du genre de celles de Babe I'm Gonna Leave You, du Led Zep I)? Et puis là encore, cette recherche sur le son, très pêchu et live, malgré le petit effet sur la voix de Plant (qui adore que sa voix soit trafiquée, réverbée, doublée, ce sera une constante à partir de cet album), et qui commence d'ailleurs par la subtilité du jeu de Page, passant de caresses sonores de berceuses à des attaques carrément brutales - sans jamais donner l'impression, là encore, de se forcer pour marier les contraires. Et comme si tout cet étalage parfaitement dosé de talent de compositeurs et d'interprètes ne suffisait pas, il y a encore cette dernière partie enjouée, qui aurait pu donner une chanson toute entière pour n'importe quel autre groupe moins inspiré, mais qui, vu le bouillonnement des idées du Zep de 69, dure à peine une minute avant de laisser la place au morceau suivant.
Encore une reprise blues déguisée (Killing Floor), mais rien à voir ici avec l'académisme mal dissimulé par un costume de modernité périmée d' I Can't Quit You Baby, déjà, ici, la basse ultra-funky de Jones sautille enfin, les tambours de Bonham soulignent tous les reliefs mélodiques et rythmiques du morceau... Et il y a ce riff caverneux, qui semble déjà loin de ceux encore imprégnés de blues du premier disque, et qui lui aussi essaye de danser, et y arrive, malgré ses pattes d'éléphant, en faisant trembler la chanson jusqu'à ses fondations. C'est surtout le chant de Plant (qui s'est vraiment métamorphosé en quelques mois, sa voix est à mon avis à son apogée, entre Led Zep II et Led Zep IV, ensuite, elle passera par différentes phases souvent intéressantes et généralement inédites, mais ce ne sera plus tout à fait pareil) qui rapproche cette chanson du blues, en fait. Après, pour une raison mystérieuse, tout s'accélère pour devenir le genre de truc paroxystique des chorales de gospel en transe qui scandent "Hallelujah! Oh Lord! Jeeeeeeeeeesus!, etc." en tapant dans les mains comme des tarés, à la télé - sauf qu'ici le show est purement instrumental. Je ne sais pas trop ce que ce passage, certes plaisant, vient faire dans la chanson. Tandis que le morceau précédent était impressionnant de fluidité lorsqu'il conjuguait des éléments extrêmement disparates, les différentes parties de cette chanson-là se télescopent avec une grande violence. C'est un peu moins subtil, c'est sûr, mais ça reste intéressant et très inspiré. De toute façon, même dans ses petits moments de flottement, le Zep de cette époque est en état de grâce. Et la chanson s'étire encore un peu plus, peut-être un peu trop, portée par le groove douillet tricoté main par un John Paul Jones qui a vraiment pris de l'épaisseur, apparaissant sans conteste comme un quart de Zep, et pas juste comme le gars qui assure derrière la guitare solo. Drôle de morceau quand même, mais si l'on accepte sa logique démente, on s'y laisse facilement happer...
Voilà une sorte de Your Time Is Gonna Come, en encore mieux, et avec des paroles sensées. La vedette de cette chanson, c'est vraiment la musique elle-même, chacun jouant avec une brillante sobriété, ou une sobre brillance, comme on voudra. C'est un genre de mille-feuille sonique particulièrement goûteux, et pour entendre d'aussi belles intrications de guitares acoustiques et électriques, il faudra attendre, vingt-cinq ans plus tard, l'album Grace de Jeff Buckley. Je ne parle pas de l'orgue de John Paul Jones, tout en retenue, qui tirerait des larmes à un croque-mort. Vraiment, je ne comprends pas que les critiques qui ont éreinté le Zep de la fin des sixties au milieu des seventies, voire après, aient pu passer à côté de tels bijoux de composition, interprétés sans faille et avec une émotion qui ne me paraît pas du tout fabriquée. Comme sur les trois morceaux qui précèdent, le solo de Page à la guitare acoustique (quelle trouvaille géniale, ce solo note à note en acoustique, et superbement joué encore, il a dû le bosser celui-là), est destiné à rester dans les annales de l'instrument. En live, les versions purement électriques du morceau ont gardé, cela dit, la même intensité, et quand le solo arrive (dans une version rallongée pour le meilleur, en plus), on a toujours du mal à contenir un petit frisson dans le dos. Il y a un passage du solo en studio que j'adore - ce n'est pas facile à décrire - où l'on entend un peu plus nettement l'orgue de Jonesy, qui profite d'une demi-seconde d'arrêt de la guitare électrique, comme un rayon de soleil perçant à travers les nuages. Cette sorte de soupir amoureux qui dure à peine une seconde me fait toujours le même effet quand je l'entends. Chanson splendide, arrangements splendides, et Plant chante sur cette chanson, d'une voix profonde et mélancolique, des paroles simples et belles que sa femme a dû être toute retournée de recevoir (même si en parallèle, le beau Robert avait déjà largement commencé à apprécier les charmes de la vie d'artiste, lors des premières tournées américaines du Zep). Et au moment où on croit que la face I est finie, on a même droit à un petit rab d'orgue solo... Qu'est-ce qu'on dit? Merci John-Paul!
Fini de rigoler, Heartbreaker déboule, avec ses airs de voyou balafré la clope au bec. Une fois n'est pas coutume, je préfère cette version-là, vraiment menaçante, genre lave pâteuse s'écoulant doucement mais sûrement d'un volcan et qui se fout pas mal de ce qu'elle trouvera sur son passage, à la version plus rapide généralement jouée en live, notamment sur How The West Was Won. Bon, honnêtement, ça fait bien longtemps que je n'avais pas écouté Led Zep II, qui était l'un des Led Zep que j'aimais le moins à cause de certains passages un peu relâchés (sur Lemon Song ou Moby Dick), mais bon sang, c'est bien de revoir mon jugement, parce que ce cinquième morceau du disque est encore un monument. Là encore, le son est aussi important que la composition dans l'impact de la chanson, il y a cette basse énorme à l'air mauvais (qu'on a du mal à imaginer entre les mains du gentil John Paul), et Bonham qui fait imperceptiblement basculer la chanson, en l'espace d'une demi-seconde, dans une frénésie qui finit en queue de poisson sur un solo échevelé (un peu comme dans Whole Lotta Love), bien connu des amateurs lui aussi. Ce solo me semble un bel exemple de virtuosité apparemment gratuite, parce que même si on le connait tous par coeur, il n'est absolument pas accrocheur ou mélodieux, il est juste rapide, il s'étire sans souci de progression ou même de fluidité. Pour tout dire, il sonne comme une armée de cailloux jetés dans une machine à laver par un gamin hargneux. Il est grotesque, stupide, titanesque, mais il a sa place dans la chanson, c'est un miracle qui ne se produira pas sur certaines versions live à rallonge (How The West Was Won, ouais!). On a donc encore, sur ce morceau, cette structure pseudo-progressive déjà présente sur les morceaux "longs" de Led Zep I, mais la formule a vraiment gagné en efficacité et en concision, et cette accumulation finalement assez cohérente d'éléments plus ou moins saugrenus aboutit encore à un grand morceau de Led Zeppelin.