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In through the Out Door

Led Zeppelin - In through the Out Door

> In the Evening > South Bound Suarez > Fool in the Rain > Hot Dog > Carouselambra > All My Love > I'm gonna crawl

In the Evening

Bruits de derrière la scène, étouffés, on tend l'oreille pour distinguer des tambours qui s'animent, et cette Stratocaster qui, après trois ans au placard, a retrouvé son maître, d'où vient cette excitation à entrevoir les silhouettes incertaines de ceux qui seront dans la lumière quelques instants plus tard? Ce moment-là, Led Zeppelin ne peut pas le rater, parce que c'est dans chacune de nos têtes qu'il se passe, et que l'attente est à la hauteur des exploits passés de la bande. Excités comme Patrick Poivre un soir de scrutin, à l'heure d'annoncer le taux de participation - que l'on découvre cet album en direct un soir d'août 1979, espérant se voir infliger un nouveau graffiti en pleine face, ou n'importe quand après, avec une curiosité plus ambiguë pour ce qui ne fut finalement qu'une sortie par la petite porte. Comme sur Led Zeppelin IV, c'est Robert Plant qui tire le premier, mais le cri primal, brut, indompté de 1971 doit cette fois transiter par un dédale d'effets électroniques, évoquant la beauté déviante et kitsch de certaines femmes d'âge mûr trop lourdement fardées. Le groupe n'a pourtant que dix ans, et Plant tout juste trente, et à l'heure où les jeunes vieux de Sonic Youth ou des Pixies célèbrent fastueusement le vingtième anniversaire de leurs classiques Daydream Nation et Doolittle, et s'exposent même au MoMA sans que personne ne trouve rien à y redire, on comprend mal comment les Zeppelin ont pu passer en une poignée de semestres du statut de requins du rock à celui de dinosaures à abattre. Alors, il n'est pas bien ce morceau? Si, il est bien, il est génial, même, une des compositions les plus évidentes de Jimmy Page, un riff précis et direct comme au temps des premiers albums, assez différent des arabesques de fer de Presence, mais sculpté avec le même outil, cette Strat retorse, changeante, qui parcourt à nouveau comme un feu-follet la surface du morceau. C'est justement cette surface qui pose problème : comme Plant, gainé de son étrange habit numérique, les musiciens semblent loin de nous, la scène rock fantasmée du début, idéalement bâtie aux dimensions de nos boîtes crâniennes, est devenue aussi accueillante qu'une aérogare de la Guerre des Etoiles. L'inimitable et inestimable guitare de Page a été priée, et c'est un nouveau choc, de s'effacer devant l'armée de claviers dernier cri mais sans âme de John Paul Jones, qui se coulent paresseusement dans l'espace autrefois réservé aux overdubs du Maestro Jimmy. La basse semble elle aussi désincarnée, présente-absente tout du long, privée de la rondeur des premières années autant que du mordant de certaines œuvres plus récentes, comme si John Paul en avait délégué l'usage à une machine perfectionnée - on ne peut pas être partout. Bonham, on le reconnaît forcément au premier coup de cymbales (vraiment), mais lui aussi semble muselé, rentré dans le rang, délivrant un groove impeccable, mais terne. Heureusement, tels ces vieillards déments qui émergent subitement de leur torpeur pour asséner une vérité brillante et définitive à leur entourage médusé, Jimmy Page le junkie se souvient en cours de route qu'il fut autrefois le capitaine de ce navire, et il balance un violent coup de vibrato à cet édifice trop symétrique, faisant voler en éclats la porte de sortie vers laquelle on le pousse. Ce solo déchiqueté, alternant arbitrairement déflagrations et silences hébétés, dont on ne sait pas trop si Page l'a improvisé dans un état second ou élaboré progressivement à partir de petits bouts de n'importe quoi, est au final l'un de ses plus beaux, jaillissement spontané de couleurs musicales impromptues salissant, secouant, démantibulant la logique trop bien huilée du morceau. Lorsque la chanson se remet en route tant bien que mal, le guitariste revigoré nous projette encore quelques giclées de sa peinture trop vive, superposant de grasses guitares plus bruyantes que vraiment belles aux nappes de claviers de Jones, et c'est exactement ce qu'on avait envie d'entendre... Un naufrage, pourquoi pas, si Jimmy Page est dans l'orchestre?

Led Zeppelin