"All the poets / And all the liars / And all you pretty people / You're all gonna die"... On peut dire qu'on est plutôt fraîchement accueilli sur le nouveau Low, album post(?)-dépression, post(?)-guerre en Irak, post-illusions, dont personne ne devrait sortir indemne. Alan est monté seul au front, sa voix posée sur un tapis de larsens tellement inconfortable qu'on n'arrive plus à dire s'il est brûlant ou glacial, drone grinçant qui évoque autant un Orient lointain et abstraitement menaçant que les tressautements aveugles d'une scie sauteuse. Psaume sans dieu, désabusé, dont les envolées douloureuses retombent lourdement à chaque fois. Mimi Parker est toujours là, pourtant, mais plutôt que d'adoucir la complainte de son compagnon par ses belles harmonies, elle ne débarque à mi-chanson que pour marteler un rythme guerrier qui, très vite, s'embourbe, enlise le morceau au lieu de l'emmener ailleurs. Le morceau suivant, Belarus, est un peu moins revêche, mais commence suffisamment brusquement pour nous donner à nouveau l'impression d'être entré là sans y avoir été convié. Boucles mal bouclées mêlées de fréquences suraiguës à faire hurler les chiens (du moins je suppose), brouillard rythmique synthétique érigé à partir de presque rien, et notre chère Mimi reléguée au même plan que les vieux synthés pourris du chef de famille, on est vraiment très loin de la majestueuse douceur d'un Things We Lost In the Fire (pourtant produit par Albini), tout ici est épineux, parsemé de chausse-trapes, déstabilisant. Evidemment, la dégringolade d'Alan Sparhawk ne date pas d'aujourd'hui, Trust comportait déjà son lot de balades frigorifiées, et le précédent album était dès le titre d'ouverture lardé de larsens assassins et bardé de guitares rageuses. Mais sur Drums & Guns plus qu'ailleurs, aux premières écoutes, c'est le malaise qui prédomine, l'impression d'assister à un cataclysme - peut-être intime, peut-être universel, sûrement les deux - sans rien pouvoir faire d'autre que de le contempler. Quand le troisième titre, le terrible Breaker, débarque, avec sa lugubre festivité de façade, son riff de synthé en ruines, et surtout, cette évocation puissante des corps déchiquetés par les machines absurdes de la guerre, on est mûr pour entendre le message : "there's got to be an end to that", tout simplement, il faut que ça cesse. Et si l'appel peut paraître simpliste sur le papier (sur l'écran), c'est juste qu'il vient des tripes. Et de toutes façons, la démonstration implacable de l'absurdité de la guerre sous toutes ses formes est largement faite de la première à la dernière des 40 minutes de cet album ramassé et impitoyablement cohérent. Cohérence dans l'enchaînement des morceaux, adéquation entre le fond et la forme, aussi. Des chansons comme Always Fade ou Dragonfly (un titre déchirant où il est question de pilules qui changent le monde - Sparhawk a l'air de s'y connaître et il n'est pas dupe) semblent avoir été méticuleusement déconstruites, dé-composées on pourrait dire, on leur a arraché leurs guitares, tambours et basses semi-léthargiques habituelles pour les remplacer - c'est le progrès que voulez-vous - par des automatismes complexes, faussement rationnels et bien huilés, des machineries alambiquées, mal ajustées, tellement dénuées d'humanité palpable qu'on en pleurerait. Il nous reste, par lambeaux, la guitare triste et lancinante de Sparhawk, qui s'essaye même çà-et-là à quelques soli poignants et fatalement déviants, et les fameuses harmonies vocales du couple vedette, elles aussi plus sombres et tordues cette fois-ci que sur les précédents essais (c'est particulièrement beau à entendre sur Sandinista, en conjonction avec le son sourd des tambours de Mimi). Bon, il y a bien encore un peu de tendresse et même d'humour chez Low - un peu. Dust on Your Window, chanté par Mimi Parker, est un moment de grâce qui rappelle beaucoup les sublimes Tonight ou Closer sur d'autres albums, mais la basse au spleen lourd et pénétrant, et le synthé (?) distordu et réverbéré à l'extrême viennent vite nous rappeler qu'il ne s'agit que d'un bref moment de répit entre deux déluges de plomb. Il y a aussi Hatchet, pas loin derrière, presque disco, tellement superficiel que sa légèreté semblerait presque suspecte, touche d'espoir factice placée là pour assombrir encore, par contraste, la fin de l'album, plus classique et familière dans l'aspect, d'ailleurs, mais aussi grave que le reste (essayez d'écouter Murderer sans attraper la larme à l'oeil, pour voir?). Album court, grave, délibérément embrouillé par ses créateurs pour ne pas qu'on s'y sente trop bien. "We appreciate you checking in with us, but make it quick, then go do something more constructive", dit le le message de bienvenue (!) du site officiel du groupe, et il résume bien leur état d'esprit du moment. Evidemment, les fans comme moi ne seront pas trop rassurés de retrouver leurs musiciens préférés aussi sombres et préoccupés, n'empêche qu'une fois de plus, Low nous propose quand même un album superbe et poignant, qui donne à réfléchir autant qu'il nous bouleverse. Un grand album.