Courvoisier/Feldman. Pile/face, l'intranquille éruption de Conky's Lament et le pétillement faussement foutraque d' Oblivia de Oblivion jouent d'un même attirail de cordes et de doigts, mais c'est pour mieux nous mener sur deux voies opposées. L'improvisation la plus crue, écriture sonorythmique d'instinct, est constamment veinée, sur ces deux morceaux comme ailleurs, d'un lyrisme subtil, changeant, opaque, porteur finalement de bien plus de questions et de mystères que de simple confort d'écoute. Malgré l'unité évidente de cette collection, on ne trouvera pas un seul morceau ici qui ressemble au précédent, et cette aptitude naturelle des deux musiciens à faire naître des ambiances contrastées fait d' Oblivia un de leurs disques les plus immédiatement accueillants, aussi chaleureux et rempli de sentiments divers que pouvait l'être Malphas - leur belle contribution à la série Book Of Angels de John Zorn. Pile/face, Sylvie qui joue des coudes façon Cecil Taylor sur Messiaenesque, carrée, obstinée, en défense, pendant que Mark s'échappe dans des aigus aussi légers que des plumes, et en deux minutes vingt deux, tout est dit. Ramassée, différente de la version ludique jouée en quartet (sur l'album To Fly To Steal), celle-ci s'apparente plutôt à une proposition - généreuse, ouverte, un appel à nos imaginations, en attendant de l'aimer encore autrement, un de ces jours, en concert. Double Nelson est une autre composition déjà entendue, presque à l'identique, sur un ou deux disques précédents, et pourquoi pas, puisque ce n'est pas le même disque? C'est en tout cas l'occasion de constater que la maîtrise technique du duo est intacte. La maîtrise technique, et la richesse de l'inspiration. Les notes égrenées par le piano de Sous Un Rêve Huileux, ou les sonorités les plus tendres de Bassorah, ont un arrière-goût de Morton Feldman - du Morton Feldman amoureux de The Viola In My Life. Comme Morton Feldman aussi, Sylvie Courvoisier sait magnifiquement « trouver l'accord parfait, et le gâcher » : on n'attend pas d'un morceau qui s'appelle Bassorah qu'il soit une promenade de santé. Politique, poétique, sobre, déchirant, à rebours de tous les clichés : les notes disposées là forment un flux de sens, de sons, d'histoires dites et non-dites, nous ouvrent au monde d'une façon inédite, que le langage des mots et des images ne peut pas approcher. Il faut un sacré sens de l'équilibre pour redescendre de là-haut, mais à Bassorah comme à New York ou là-bas chez vous, il y a au moins une valeur qui aura toujours cours : l'amour, qui colore joliment les entrelacs sensuels de Vis à Vis, première d'une série de pièces courtes et plus bruitistes où la complicité entre la pianiste et le violoniste n'a jamais été aussi évidente. Suite aussi logique qu'imprévisible de leurs précédentes aventures, ce plantureux Oblivia sans faiblesse ni temps mort n'est donc pas loin du sommet de leurs oeuvres communes et respectives.