Allez, rapidement hein, à chaud. J'ai un peu pleuré ce soir. Pas à cause du référendum, parce que je n'ai connu le résultat qu'assez tard dans la soirée, mais à cause de la musique (à ma connaissance c'est d'ailleurs le seul truc qui me fasse pleurer à l'occasion, la musique). La dernière fois, c'était en écoutant Hurt repris par Johnny Cash. La fois d'avant, c'était sur Lover You Should've Come Over de Jeff Buckley. Là c'est venu du trio Mephista (Ikue Mori - percussions macintoshiennes, Sylvie Courvoisier - Piano, Susie Ibarra - percussions). Je suis sûrement tombé amoureux ce soir mais je ne saurais pas dire de qui exactement. Certes, Sylvie Courvoisier malmène son piano en frappant ses cordes avec des maillets ou en y collant des bouts de gros scotch marron, mais ça on s'en fout, ce que je retiens, c'est des moments d'un lyrisme extrême, ces quelques notes au piano soulignés par une électronique soudainement devenue plaintive, ces chuchotements de batterie. Rien de gratuit ici, juste des moments de pur bonheur nombreux mais très fugaces car les demoiselles ne repassent jamais deux fois au même endroit. Pourtant c'est bouleversant, ça parle au coeur.

Avant, il y avait eu le Renegade Steel Band, des mecs tapant sur des bidons sponsorisés par BP (véridique). Virtuoses, ils reprennent des tubes de l'été (véridique) et deux ou trois conneries spectaculaires qui m'ont fait penser à Deep Purple reprenant l'hymne à la joie de Beethoven. Mais c'était dansant et tous les autres ont adoré.

A part les Rénégats pétroliers, chaque minute de la soirée fut EXCEPTIONNELLE. Je reviens pas sur Mephista, de toute façon c'est comme se réveiller d'un rêve, je ne me souviens de rien d'autre que d'une sensation agréable mais enfuie à jamais... Ensuite Fred Frith et Camel Zekri. Je connaissais pas Camel Zekri, même de nom, jusqu'à vendredi soir, où il m'avait déjà impressionné avec son cercle worldisant. Là, avec Frith, il a laissé tout le monde pantois. Les branleurs de manche du dimanche, les tricoteurs amateurs de tapisseries sonores, les apprentis sorciers de la world music, les docteurs ès bruits, tout ce petit monde peut aller se rhabiller, Zekri et Frith ont atomisé les frontières de la virtuosité et de la créativité ce soir. Tout à commencé gentiment par une fausse piste, Frith qui joue à l'archet et pose divers gardgets sur sa guitare, Zekri pianotant nonchalamment les deux mains sur le manche, musique expérimentale douillette, et pis ils se sont mis à nous faire en direct la pluie et le beau temps, la dérive des continents, la pluie et les larmes, tout a fondu, tout est fluide, toute la musique qu'on aime y passe, j'ai bien dit TOUTE et je n'exagère pas! Rien de gratuit dans cette heure de musique encore une fois aussi inouïe que profondément touchante, ce que notre bon vieux rock a du mal à être par les temps qui courent. Devant l'ovation du public, un VRAI rappel vraiment improvisé aussi, époustouflant comme le reste, quand ça arrive on est content.

Pour finir, Ikue Mori est revenue avec la chanteuse japonaise Tenko. Ikue Mori m'avait déçu la première fois que je l'avais entendue en live avec Jim O'Rourke, mais enthousiasmé tout à l'heure avec son trio Mephista. Là re-bonne pioche. Les dix premières minutes j'étais circonspect ça sonnait un peu comme si les deux ménagères de moins de 50 ans (?) présentes sur scène étaient en train de chercher en vain une station de radio qui passe de la bonne musique, et puis finalement je me suis pris au jeu, Ikue a utilisé les mêmes sonorités caractéristiques que les autres fois, mais pour créer ce coup-ci un bouillonnement tribal électronique en phase avec les grognements, bruits de bouches, cris et chants de gorge de Tenko, qui passait de vagissements de bébé à des incantations vaudoues, d'appels de muezzin à des bruitages de porno abstrait, et puis ces souffles, ces toux, ces mouvements de langue et de lèvres, cette syllabe AAAAA répétée, martelée à la fin du concert déclinée en trente ou quarante variantes... J'ai parfois eu mal pour elle mais comme tout le monde j'ai applaudi très fort. Je suis aussi rentré chez moi avec quelques CD. Le pianiste Pat Thomas est reparti avec les siens juste avant que je passe au stand et il a disparu donc j'ai pas pu investir dedans mais j'ai chopé Sylvie Courvoisier au vol -là j'ai appris que les artistes aimaient bien savoir lorsque leur musique touche les gens en plein coeur. Parmi ses oeuvres, je me suis laissé tenter par le premier CD de Mephista et par son double album mi composé mi improvisé "Abaton" avec Mark Feldman et Erik Friedlander sur ECM. Je vous le dis tout net, cette demoiselle s'est montrée aussi aimable qu'elle est jolie et talentueuse. Je lui ai plus ou moins fait promettre de revenir nous voir bientôt. Vivement!!!!

Mephista lors d'un autre concert, le 27 juin 2005 (merci à Ornitoto)


MEPHISTA
envoyé par Ornitoto