Une fois n'est pas coutume, parlons cinéma. Pas des derniers Woody Allen ou Tarantino, mais plutôt de ce film très attendu de pas mal de fans de rock, It Might Get Loud, réalisé par Davis Guggenheim (à qui on devait déjà Une vérité qui dérange, que je n'ai pas vu, sûrement par crainte d'être trop dérangé...). On peut déjà commencer à discuter sans fin du principe-même du film : réunir trois grands guitaristes de trois générations différentes, les élus étant... Jimmy Page, The Edge et Jack White. Ce sont trois méga-stars, vrai. Tous trois ont en partie bâti leur style en réaction à la musique de leur temps, vrai aussi. Page étouffait dans sa vie étriquée de musicien de studio et voulait faire les choses en grand. The Edge, encore gamin, a commencé en rejetant le cirque rock'n'roll des années 70 (ahem!) et en prenant modèle sur les punks (ahem ahem!). Quant à Jack White, c'est toute la technologie des effets digitaux adoptée par la génération précédente qu'il envoie bouler pour revenir à l'esprit du blues. Trois générations, trois silhouettes connues, on est tenté d'y voir trois emblèmes permettant commodément de résumer 50 ans de guitare rock en 1h37. Or, il me semble que The Edge et Jack White, sinon Jimmy Page, se représentent surtout eux-mêmes. Pour apprécier le film, il faut donc en avaler le postulat de départ : il est intéressant de confronter les avis de ces trois-là autour de la guitare, et de les inviter à jammer ensemble. Pourquoi The Edge plus que Kevin Shields, Lee Ranaldo ou Slash, pourquoi Jack White plutôt que Pete Doherty ou Nick Zinner...? Peut-être parce que le réalisateur, que j'imagine plus collectionneur de grattes vintage que sex, drugs & rock'n'roll, a dû arrêter d'acheter des disques en 1984 (à part les White Stripes, qui sonnent comme au bon vieux temps?). Pourquoi trois guitaristes plutôt qu'un ou cinquante? Sûrement pour garder à la fois l'excitation de la rencontre et disposer d'assez de temps pour que chacun puisse s'exprimer en profondeur. De ce point de vue, on apprend forcément des petites choses sur le parcours individuel de l'un ou de l'autre, à moins d'être vraiment incollable sur la grande et les petites histoires du rock. Concernant Jimmy Page, j'avais quand même déjà tout lu en interviews. Je crois aussi que pour lui, il doit y avoir quelques zones d'ombres mnésiques dans la décennie 75-85... Mais même la vie de The Edge, indissociable de U2, j'avais l'impression de déjà la connaître, alors que je ne m'intéresse pas spécialement à ce groupe : les quatre petits gars de Dublin qui répètent dans une salle de cours, jouent aux gentils punks choucroutés et chasseurs de dinosaures avant de finir eux-mêmes, quelques années plus tard, en brochette de mammouth... Mais puisque c'est un film, il y a au moins... des images. Et celles de Jimmy Page qui se met à faire trois minutes d'air guitar sur un 45 tours de Link Wray sont éloquentes et émouvantes, ce n'est plus Papy Page mais un Little Jimmy aux yeux brillants qu'on a devant nous, et des types comme Jeff Beck ou Keith Richard(s) ont dû avoir le même éclair dans le regard la première fois que le rock'n'roll leur est tombé dessus. Jack White a droit à un plan jumeau autour d'un disque de Son House, mais là, au delà de la passion, c'est la détermination d'un gamin revanchard de Detroit qu'on perçoit. La séquence back to school de The Edge, en Irlande, est assez convenue, mais pour un amateur de Led Zeppelin, une visite d'Headley Grange, lieu d'enregistrement de quelques albums majeurs du groupe, guidée par Page, vaut largement le prix du billet. Images d'archives aussi : rien de bien neuf à se mettre sous la dent, ce qui semble confirmer que Jimmy Page n'a pas grand chose d'autre à nous proposer que ce qu'on a déjà sur DVD. Mais c'est toujours mieux en dolby et sur grand écran que sur la vieille télé de Mamie. Un petit White Stripes bien fort dans le cinoche, ça passe bien aussi. Et cette fameuse rencontre au sommet entre les dieux de la guitare, alors? Quand on demande à White, avant la réunion, ce qu'il pense que ça va donner, pince sans rire, il répond : une bagarre à mains nues. Rien de tout ça, au contraire, personne ne se bat avec personne, personne ne crache sur personne, tout le monde est content. Les trois conversent assez librement, et on apprécie que le réalisateur ne cherche pas à nous asséner telle ou telle vérité dérangeante ou non et leur laisse la parole. Le seul problème est qu'ils n'ont pas toujours grand chose à se dire. Je ne sais pas non plus ce que je bredouillerais si je me retrouvais nez à nez avec Jimmy Page. Peut-être que les guitares seront plus bavardes? Si on veut. Elles sont déjà joliment filmées, d'une façon très sensuelle, à la limite du fétichisme, par Guggenheim. Les trois se montrent quelques plans (costaud, ce riff de Whole Lotta Love, hein Jimmy?) puis vient le moment de jouer un peu ensemble. Que nous offrent donc ces trois rockers? Du blues, évidemment, comme si en 2009, toute la musique qu'on aime continuait à venir de là, ce qui me semble un poil réducteur. Mais c'est ce qu'ils savent jouer tous les trois (oui, même The Edge, mais ce n'est quand même pas BB King pour autant), surtout Jimmy, puisque le morceau est de lui : In My Time Of Dying... Ce moment-là n'est pas mal, après quelques instants à tourner autour du pot, c'est à dire du riff, sans génie particulier, chacun prend un mini-solo, dans son style propre, bien. Ils font aussi un autre morceau, une espèce de balade folk à trois guitares acoustiques et quatre accords, qu'ils rament un peu à mettre en place alors qu'ils jouent tous les trois le même plus petit dénominateur commun folk-rock, une suite d'accords basique qu'ils ont dû jouer cent fois sur d'autres chansons en plus. Page s'essaye à un solo, dans sa tête les choses sont bien claires, on le sent, mais ses pauvres vieux doigts ne suivent absolument pas le mouvement. La scène ayant été captée un mois après le concert-réunion de Led Zep à Londres (décembre 2007), on imagine le boulot qu'il a dû fournir pour donner l'illusion pendant tout un show que ses réflexes d'il y a trente cinq ans étaient toujours bien là. Au final, il serait dommage que les amateurs de guitare rock, quelles que soient leurs préférences, se privent du plaisir de voir ce film, un peu superficiel, bourré de plus ou moins gros défauts sur la forme et sur le fond, mais qui laisse quand même percevoir que l'esprit du rock a encore quelques beaux jours devant lui.

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