Comme les menus Best Of du McDo, les festivals gratuits sont aussi plus gros et plus lourds en Amérique, voir la programmation de ce dimanche ensoleillé : Saviours, groupe de métal inconnu au bataillon mais qui joue comme si l'électricité était gratuite, puis les garagistes réputés The Walkmen (qui s'appelaient Jonathan Fire Eater dans une autre vie), enfin, le power-trio légendaire revenu au top de sa forme Dinosaur Jr.

Je voudrais bien avoir quelque chose à dire sur la musique des premiers, qui pour ce que j'en connais, ressemble à celle de Metallica. Je crois qu'on appelle ça du thrash metal -j'ai même déjà vu écrit Trash Metal. Le but semble être de saturer l'espace sonore de toutes les fréquences possibles, du grave à l'aigu, descendance baroque, décadente et premier degré de l'Immigrant Song de Led Zep, mais en plus rapide, plus fort, plus lourd, avec plus d'écho sur la voix, des solos à deux guitares... Curieusement, alors que la musique du groupe en elle-même m'a semblé très anecdotique,il s'agit visiblement d'une affaire très sérieuse pour ces gars-là, un mode de vie, ce qui, à l'approche de la quarantaine, quand on n'a pas vraiment percé dans le business, peut commencer à poser problème. Peut-on encore garder telle quelle une crinière de fauve dont le poil commence franchement à se raréfier sur le dessus (réponse du lead guitariste : mais oui, une bonne permanente et on n'y voit que du feu)? Les tempes grisonnantes apportent-elles également un charme georgecloonesque quand on a la même coupe de cheveux qu'un dessous de bras (réponse du bassiste : bah oui regarde l'armée de nanas autour de la caravane des Dinosaur Jr)? Faut-il oser la liposuccion quand la pin-up qu'on s'est fait tatouer sur le bide s'est transformée en Maïté (réponse du chanteur : tiens, pourtant le pack que j'ai descendu pendant le concert c'était de la Coors Light)?

The Walkmen (un walkman, des walkmen??)... Vous vous souvenez peut-être vaguement de Jonathan Fire Eater, groupe à la pointe, il y a une dizaine d'années, du renouveau du rock à guitares, arrivés juste un poil trop tôt pour tirer les marrons du feu en compagnie des Libertines ou des Strokes, qui n'étaient pourtant pas tellement meilleurs. Donc voilà, quelque chose comme quatre ou cinq musiciens sur scène (il y en a un, qui jouait de la pedal steel et de l'orgue, qu'on n'a pas entendu de tout le concert). Rock fortement rétro (comme si on vivait dans un monde où Beatles et Stones n'avaient jamais existé), joué, d'ailleurs, sur du très beau matériel, son vintage patiné à la main - plus vieux de cinquante ans, ils auraient pu faire les beaux jours d'une BO de Tarantino. Il me semble que l'exercice de style garage/surf/... a ses limites, principalement celles du manque d'inspiration des compositions. Quand on compare à ce que Beck et Modest Mouse ont réussi à faire l'été dernier en brassant des influences et des sonorités similaires, ce formidable Modern Guilt frais et profond à la fois, si délicieusement rétro-futuriste, on ne peut que déplorer le peu d'audace et de recherche des chansons de la bande à Jonathan (frontman engagé mais lui-même pas très charismatique). Ils ont aussi été rejoints à deux ou trois reprises par une section de cuivres qui traînait par là, le résultat étant assez proche, m'a-t-il semblé, de Calexico (que je n'aime pas spécialement non plus). L'ensemble se laissait quand même plutôt écouter, avec deux ou trois chansons qui sortaient du lot - le plus grand mérite du groupe étant de reposer nos oreilles meurtries par trois quarts d'heure de bastonnage cochléaire intense. Mais on n'était pas venus pour eux non plus...

On était venus pour Dinosaur Jr, reformé dans son line-up originel : J. Mascis à la guitare et au chant, Lou Barlow à la basse, Murph à la batterie. Le dernier album, qui a reçu un très bon accueil des fans et de certains médias (Pitchfork), a été décrit par Barlow comme « old school », façon de dire que les Dinosaur ont fait sur ce disque ce qu'on attendait d'eux (du bruit) et que pour le reste, le coeur, l'innovation et tout ça, on pourrait toujours se reporter aux albums solos ou projets parallèles dépourvus de cahier des charges. Bizarre cette vague subite de nostalgie rocknrollienne... Quand Deep Purple faisait Machine Head en entier sur scène aux USA il y a quelques années ça avait l'air pathétiquement commercial, eux-mêmes n'en étaient d'ailleurs pas très fiers, mais finalement tout le monde s'y met, à commencer par les plus « respectables » : Sonic Youth qui rejoue Daydream Nation, les Pixies, Doolittle. Quoi qu'il en soit, si Sonic Youth a un peu perdu de sa fraîcheur (quoique Thurston Moore, croisé et entendu ce même dimanche, conserve à cinquante balais une allure de jeune homme complètement irréelle), difficile reprocher à Dinosaur Jr de se comporter... en dinosaure. Sur disque, effectivement, le programme annoncé par Lou est respecté à la lettre, mais il y a ce gros son qui emporte tout sur son passage, et une fois dans l'oeil du cyclone, plus la peine d'essayer d'émettre une réserve sur telle ou telle chanson qui ressemblerait un peu trop à la précédente. Sur scène : c'est pire évidemment. Le souffle sortant des amplis avait d'ailleurs au moins le mérite d'aérer un peu un Central Park écrasé par la chaleur. Son : très fort, le groupe nous attrape et nous secoue, ce rock-là passe par les jambes et les tripes en premier, arrive à l'occasion jusqu'au cerveau. En parlant de cerveau, difficile de dire ce qui se passe dans celui de Mascis, à voir son air impassible, voire désabusé, d'un bout à l'autre du concert. Ce qui ne l'a pas empêché d'expérimenter, entre les morceaux, improvisant de petites séquences saturées d'effets sonores, ni de faire plaisir à son peuple en lui offrant sans chiqué les « tubes » qu'il attend, ni de défendre son nouvel album dont de larges extraits ont été joués, effectivement bien raccords avec les vieilles chansons. Murph et Barlow, tous deux excellents, sont beaucoup plus qu'une simple section rythmique. Barlow, guitariste déguisé en bassiste comme l'était Noël Redding dans l'Experience, transforme ses rythmiques en contrepoint du jeu de guitare, sans jamais nuire à la cohésion parfaite du trio. Tout coule (comme coulerait un torrent de lave), sans effort apparent (mais dans la sueur quand même), tout roule (façon éboulement géant), mais tout est toujours sous contrôle. Même les solos de guitare de J. Mascis, connu pour sa prolixité aux confins du cabotinage (c'est tellement facile pour lui), sont finalement restés suffisamment brefs pour ne pas diluer l'énergie du groupe (sauf si la chanson le demandait, à l'exemple du très lyrique I don't wanna go there, déjà bien étirée en version studio). L'amateurisme n'est vraiment qu'une surface chez ces trois-là qui nous emmènent finalement exactement où ils le veulent, changeant miraculeusement l'énergie du désespoir (écoutez-donc ces paroles) en un joyeux foutoir qui nous a tous laissés le sourire aux lèvres à la fin du show. Ce dont je n'avais pas conscience,c'est qu'à ce stade de la soirée, je n'étais qu'à la moitié de ce dimanche sonique qui continue de faire siffler mes oreilles...