The Stone, encore, certes pas le seul lieu de concert à New York, il y en a à tous les coins de rue, et les coins de rue sont nombreux. Pas le seul lieu pour entendre le jeune Dan Weiss, batteur de son état, et en concert ces jours-ci avec diverses formations un peu partout à Manhattan et Brooklyn. Mais c'est son trio batterie, basse, piano que j'ai aimé le premier, via MySpace, (écoutez le morceau Stephanie, vous serez peut-être conquis, par contre, pour se procurer les CD c'est autre chose) et ce trio-là ne jouait que jeudi, au Stone, donc. Si j'ai bien compris et que mes souvenirs ne s'embrouillent pas trop, il s'agissait d'une BO de film. Vers le milieu de la performance, Weiss intercale d'ailleurs des bouts de dialogue qu'il ponctue de façon assez absurde et marrante de prime abord. C'est aussi et surtout une façon de transformer un matériau sonore dont ce n'est pas le propos en musique, faire basculer l'attention du fond à la forme, comme ce tableau bien connu qui contient deux images en une, donnant à voir, selon la façon dont on tourne son esprit, un vase kitsch ou deux visages face à face. Le paradoxe intéressant de la musique du trio, ce jeudi en tout cas, c'est son foisonnement créatif permanent alors même qu'elle tourne seulement autour de deux ou trois propositions mélodiques simples. Une poignée de petites mélodies répétées parfois des dizaines de fois, jusqu'à l'obsession, mais rarement deux fois exactement pareil (tiens j'ai vu un ou deux tableaux de Warhol qui fonctionnaient un peu de la même façon ces jours-ci). En écoutant Dan Weiss, j'ai aussi pensé à l'architecture de Manhattan, avec ces énormes silhouettes, celle de l'Empire State Buiding par exemple, qui s'invitent parfois à l'improviste dans le paysage, au détour d'une rue. Forme et fond, est-ce que c'est le gratte-ciel à l'allure massive qui domine le paysage, ou le paysage qui le phagocyte et en fait un élément du décor parmi d'autres? Quoi qu'il en soit, lorsqu'il est visible, il est à la fois égal à lui-même et toujours changeant. Et lorsque l'on s'en approche, la forme se dérobe à notre perception pour devenir une texture, occupant tout l'espace. Telle est la musique de Dan Weiss, dont j'ai cherché en vain le CD dans le formidable (et unique au monde?) petit magasin Downtown Music Gallery, dont le proprio m'a appris qu'il n'était plus édité. D'après Google, il est quand même possible de le télécharger ou le commander chez CD Baby. J'essaye et je vous raconte après.

Ben Gerstein Collective, c'est la même équipe, au service du jeune tromboniste Ben Gerstein, et complétée de Tony Malaby au saxophone et de Jacob Garchik au Mac (nouvel instrument à la mode) et... à l'accordéon. Au programme, pas de programme, juste une improvisation dans laquelle j'ai mis un peu de temps à rentrer, sans que je puisse dire si la musique n'a pas atteint tout de suite sa vitesse de croisière ou si l'agitation incontrôlée de mes pensées m'empêchait simplement de percevoir la cohérence de l'ensemble. J'ai peut-être déjà parlé ici de ce concert sans doute très bon du Quartet Noir il y a deux ans au Musique Action à côté duquel je suis complètement passé simplement parce que j'étais accompagné d'un enfant qui, lui, avait décrété que c'était le concert le plus nul du monde. A un concert de Dinosaur Jr, il aurait pu râler tant qu'il voulait sans gâter la musique - je ne l'aurais de toute façon pas entendu. Donc, mon esprit s'est accoutumé à la musique, ou bien le groupe a fini par trouver le moyen de me plaire. Un tension, un équilibre, pile là où il faut au milieu de cette ligne qui va du consensus mou où rien ne se passe à son inverse le grand n'importe quoi où chacun joue pour soi. L'homme du match est peut-être Jacob Garchik, dont les interventions parcimonieuses et généralement au service de ses brillants collègues sont toujours tombées au bon moment. Déjà, son jeu d'accordéon, tout en nappes sonores inquiétantes, a dû faire faire plus d'un tour dans sa tombe à Yvette Horner. Ensuite, son utilisation de l'ordi portable m'a semblé inédite et même franchement novatrice dans un contexte de musique improvisée. Plutôt que de proposer ses propres sons, Garchik samplait ceux des autres pour les digérer et les restituer par petits bouts, triturés à coups d'écho et de réverbération, au moment opportun. C'est un rapport au temps particulier qui existe évidemment dans la bonne musique improvisée, qui reste une construction même si les plans n'ont pas été tracés à l'avance. Mais c'est la première fois qu'on me donne à l'entendre de façon aussi explicite. Je me serais contenté d'une bonne performance agréable à ouïr, mais comme lors du concert d'ALO (beaucoup moins bon, à mon avis) quelques jours auparavant, j'ai eu l'impression d'entendre, en privilégié, la musique de demain en train de se construire. Ça va faire tout drôle de revenir aux soirées bien de chez nous devant Intervilles et Loulou la Brocante...


Une vidéo de 2007 du groupe au son très moyen mais que je mets quand même pour les bébés du début et les gâteaux à la crème: