1ères parties :Chin Chin et Gang Gang Dance

Chin Chin, ne m'en demandez pas plus sur eux, je ne sais pas d'où ils sortent, enfin si, de New York, mais d'où leur vient ce goût immodéré et exclusif pour le disco cerronien le plus clinquant, je n'en sais rien. Sont-ils plus Sister Sledge ou plus Kool and the Gang, là encore interrogez un spécialiste. Je n'ai pas trop senti le second degré sous les paillettes mais je pense qu'on peut les embaucher les yeux fermés pour une soirée de mariage, si toutefois leur niveau de français est suffisant pour refaire Cloclo. Leur niveau de funkerie kitsch ne posera pas de problème.

Plus intéressant et plus prenant, Gang Gang Dance, groupe dont la musique mêle diverses obsessions que je n'aurais pas cru compatibles : un goût pour les longues dérives 70's (morceaux étirés jusqu'à un bon quart d'heure, qui peuvent évoquer Santana autant que de la dance anglaise des 90's, bien joué), une forte tendance percussive (parfois trois percussionnistes en même temps, on se retrouve alors dans une jungle rythmique à la High Places, pour les amateurs), et des sonorités de claviers et de voix (Cindy Lauper sors de ce corps) très marqués 80's. Improbable mais réussi, en partie grâce à l'enthousiasme sans faille de la chanteuse qui, de la où j'étais, ressemblait à Clotilde Courau, je veux dire son Altesse la Princesse de Savoie.

TV on the Radio

Et maintenant, les choses sérieuses. TV on the Radio, redoutable bête de studio aux compos chimériques, qu'est-ce que ça peut bien donner sur scène? Si on a bien écouté leurs disques, on peut déjà en avoir une idée : leurs chansons, si sophistiquées soient elles, partent le plus souvent d'une idée simple, un gimmick ou une petite mélodie, qu'on doit donc pouvoir retranscrire sur scène aussi facilement qu'on la chante sous la douche. Justement, à de nombreuses reprises ce soir, c'est en sifflotant ou en fredonnant que Tunde Adebimpe a introduit les morceaux, et c'est autour de ce fredonnement que l'ensemble – beau Légo comportant 2 guitares, une basse, un synthé, une section de cuivres et une choriste – s'est mis en place. Le côté génial du Légo (dont quelques briques sont exposées dans les vitrines de la section design du MOMA), c'est que les combinaisons sont nombreuses, et au delà de la qualité intrinsèque de la musique du groupe, ce qui m'a frappé, c'est sa forte unité sonore malgré les jeux de chaises musicales déjà observés sur les albums : un coup c'est Adebimpe qui chante avec Malone aux choeurs suraigus, une autre fois c'est exactement l'inverse, un coup untel joue de la guitare, un coup il est à la basse ou au synthé. Assez souvent même on se retrouve avec un chanteur qui ne chante pas (Tunde Adebimpe, qui se révèle aussi très bon danseur quand on lui coupe le sifflet) ou un guitariste génial (Malone) qui, presque partout, laisse au discret (mais déterminant) Dave Sitek le soin de reconstituer en direct le fascinant mur de guitares des albums, sans qu'on puisse faire à l'oreille nue la différence entre le jeu du balèze barbu et celui du blanc-bec à lunettes. TV On the Radio, sur ce coup-là, m'évoque un peu une de ces richissimes équipes de foot qui peuvent se permettre de laisser cinq vedettes sur le banc de touche parce qu'il y en a déjà onze sur le terrain, ou ces musées qui gardent des Picasso à la cave parce qu'il faut bien faire de la place pour Van Gogh et Cézanne. Un son un peu moins fouillis (choriste et parfois cuivres inaudibles, mais assez gesticulants pour assurer le spectacle) et un peu plus enveloppant n'aurait pas été un mal, mais l'ensemble reste extrêmement entraînant et surtout très efficace, le principe de base étant d'accélérer sensiblement le tempo par rapport aux versions d'origine. Une chanson comme Wrong Way, déjà bien énergique sur la chaîne du salon devient ici une sorte de ska frénétique. Difficile aussi de résister aux titres funky du dernier album comme Crying ou Red Dress, rouleaux compresseurs souriants et sans complexes, à l'américaine. Les rocks (Wolf Like Me, Staring At the Sun - scotchant) sont plus rock, quand aux morceaux lents, ils se transforment carrément en slows de l'été. Pur plaisir, qui aurait sans doute été plus intense encore si ce groupe avait profité de sa maîtrise technique sans faille pour laisser plus de place au risque, à l'imprévu. Les types jouent à Brooklyn comme ils l'ont fait partout dans le monde ces dernières années : en grands professionnels, et cette qualité-là est aussi leur limite pour l'instant. Il faut attendre le rappel pour la petite séquence émotion du soir, le groupe étant rejoint par une poignée de gamins de Brooklyn (pas encore couchés?) et de quelques autres amis, tous armés de diverses percussions, ce qui est parfait parce qu'ils vont jouer A Method. Mignon, dommage que les gamins n'aient pas eu droit à un micro comme les grands pour faire entendre leur cacophonie de tambours, c'eût été approprié. Un peu à l'image de la soirée, grand bonheur musical, à peine atténué par le fait qu'on en attendra toujours plus de TV on the Radio, band d'enfer et somme de talents individuels considérable, que du commun des groupes banalement pourvus d'une seule corde à leur arc. Ce soir, ils n'auront été qu'excellents.