ALO – The Stone, New York, 8 août 2009
Par Pierre le mardi 11 août 2009, 14:55 - Concerts - Lien permanent
Jesse Elder & Aya Nishina : piano à quatre mains
James Brendan Adamson : électronique
Ned Rothenberg (shakuhachi, clarinette)
Alors voilà en vrai The Stone, célèbre et sympathique boui-boui de John Zorn à Downtown Manhattan (chez nous une salle comme ça s'appellerait une MJC, une demi-MJC même). Ambiance tout le monde connaît tout le monde (sauf moi, laissez-moi le temps de descendre de l'avion), avec « hugs » et « oh my god » gutturaux à l'envi encore mieux qu'à la télé, décor sombre et sobre, minimal mais indescriptiblement élégant. « Tout pour la musique », et même pas d'enseigne en dehors d'un petit logo sur la porte vitrée (j'ai même cru à un moment que la fille dans la rue qui m'assurait – dans un assez bon français d'ailleurs, ce qui est toujours un poil vexant quand on avait espéré poser la question en américain - que c'était juste au coin de la rue se payait ma fiole). Bref, entrer, payer dix dollars, choisir sa chaise en plastoc et simplement ouvrir les oreilles. J'avais plutôt prévu d'aller dormir mais sur les conseils avisés d'une spécialiste qui avait vu et aimé la prestation de la veille, j'ai tenté l'expérience. Dans les faits, mon organisme fatigué a opté pour un compromis consistant à alterner phases d'écoute et phases de sommeil paradoxal (c'est curieux, je m'endormais à peine 20 secondes et je faisais un tout petit rêve). La raison est plus à chercher dans le jet lag que dans une éventuelle faculté onirique ou juste soporifique de la musique, qui m'a surtout donné l'impression d'être un fruit un peu vert, cueilli trop tôt, ou un vin jeune à garder encore un peu dans le fût avant la mise en bouteille. Les deux pianistes qui forment le noyau du groupe font d'ailleurs un peu gamins, ce qui ne les empêche pas, comme je l'ai découvert plus tard, d'avoir déjà un parcours musical bien rempli. La très fraîche Aya Nishina, par exemple, a commencé le piano à deux ans, sur les traces d'une mère concertiste professionnelle, et n'a pas vraiment perdu de temps en route. En plus de jouer du piano, elle a ponctué le set de petits bouts de poèmes de son cru, dont il me semble me souvenir malgré mon niveau moyen en anglais nippo-américain et mes micro-endormissements qu'ils étaient bien bucoliques et bien mignons. C'est elle qui a commencé le spectacle, seule, par un morceau joli, bien tenu, on percevait assez vite dans quels trous de souris l'improvisation, et l'interaction, assez vite, allaient se glisser. Ned Rothenberg la rejoint donc tranquillement, commençant sur une grosse flûte à quatre trous, marie sans forcer les sonorités exotiques de son instrument à celles plus familières du piano pas encore préparé (le rouleau de scotch et les balles magiques ne sont pas loin et vont bientôt servir). Puis Jesse Elder, s'installant à l'autre bout du clavier (Jesse et Aya échangeront parfois leurs places par la suite), et c'est intéressant d'entendre deux styles aussi différents s'échapper en même temps d'un seul instrument. Aya la virevoltante au jeu de plus en plus expressif, quitte à faire passer la rigueur technique au second plan, c'est elle aussi qui martyrisera gentiment le piano avec divers accessoires en cours de concert – pourquoi pas? Jesse, plus posé, avec parfois des inflexions classiques, mais pas moins virtuose. Ces deux-là sont loin d'avoir tout dit mais se complètent déjà bien. Je suis un peu plus réservé sur l'apport des invités aux sonorités aigres-douces du duo. Ned Rothemberg brode joliment autour des harmonies et mélodies pianistiques, semble « en rajouter une couche » plutôt que de jouer avec, il entre dans la maison de Nishina et Elder comme avec des patins, à l'aise mais pas chez lui. Adamson, lui, suit plus volontiers le clarinettiste (qui lui-même a l'air de suivre le piano, drôle de caravane), le poursuit, même, de ses frustes bruitage analogiques contrôlés avec un simple joypad de Playstation...! Amusant, mais il semble surtout un peu embarrassé. Il y a sûrement des configurations plus casse-gueule que d'autres, et ce quatuor-là n'a pas choisi la facilité. Mais on a déjà vu des ensembles au moins aussi hétéroclites (je pense au quintet Lonelyville de Sylvie Courvoisier) passer la rampe sans qu'on se pose de questions. Il reste de ce spectacle imparfait l'impression stimulante d'assister dans l'arrière-cour d'un labo à une expérience de chimie inédite plutôt qu'à un concert en bonne et due forme. Goûtons donc ce qu'on nous offre là, l'occasion ne se représentera peut-être pas de sitôt.