La beauté de la musique improvisée est décidément bien insaisissable. Affiche étonnante et prometteuse : le vétéran saxophoniste / clarinettiste Louis Sclavis, le guitariste-bruitiste ascendant Sonic Youth Jean-Marc Montera et à la batterie, le costaud Ahmad Compaoré, qui jouait dimanche dans un autre trio avec Marc Ribot et Jamaaladeen Tacuma. Il aura pourtant fallu attendre le rappel pour que ces trois là se rencontrent vraiment et fassent enfin confluer leurs styles certes fort différents. Jusque-là, ils nous auront surtout permis d'éprouver bien malgré nous le lieu commun vieux comme le free qui veut que les improvisateurs "libres"censés jouer ensemble ont souvent l'air d'avoir amené chacun une partition différente. Sclavis, avec ses faux airs d'ancien combattant jazz - genre saxophoniste des stars qui a bien connu Véronique Sanson - alors que pas du tout - est quand même un peu le leader naturel, c'est lui qui insuffle généralement les petites mélodies qui vont faire avancer, bien lentement m'a-t-il semblé, cette lourde plaque d'improvisation molle. Montera, qui m'avait emballé il y a deux ans en quartet rock avec Jean-François Pauvros dans le rôle de Thurston Moore, s'est surtout appliqué à essayer des trucs dans son coin, souvent pas très raccord avec le sax, parfois un peu plus avec la batterie, lorsque Compaoré et lui se liguaient "contre" Sclavis pour attaquer à grands coups de boutoir métallique genre musique de sauvages les constructions souvent classiques et mélodieuses du clarinettiste. Alors oui, c'est amusant de voir un guitariste faire rouler une voiture miniature sur son manche, enfin, ça pourrait l'être si on percevait un peu d'humour ou une finalité musicale quelconque dans la démarche, mais au bout du compte, les divers joujoux de Montera (bottleneck, baguettes de batterie, pédales d'effets en tous genres...), et ses artifices techniques visuellement impressionnants finissent par tous sonner un peu pareil, et ce son sursaturé façon appareil électroménager en déroute, on l'a déjà pas mal entendu, et souvent dans des contextes plus adaptés. Ahmad Compaoré observe beaucoup ses collègues, semble parfois écartelé entre les deux, je retiens surtout la limpidité de son jeu et la puissance de sa frappe (le trio avec Ribot et Tacuma a dû méchamment dépoter). Une salve raisonnable d'applaudissements (plus quelques sarcasmes de la part de gens qui s'attendaient visiblement à tout à fait autre chose, comme du jazz), et rappel, donc. Peut-être était-ce la perspective réjouissante de ne pas en reprendre pour une heure, mais les choses se présentent mieux. La différence, difficile d'en être sûr, c'est peut-être la dynamique, la musique s'est parée de couleurs plus vives et contrastées, sans pour autant s'aplatir dans des ficellités pop, ou l'impression qu'une musique, durant ces cinq petites minutes, se construit alors que l'improvisation précédente donnait plutôt une impression d'étalement. Peut-être que d'autres spectateurs auront plus apprécié la musique jouée ce soir-là. Elle m'aura surtout permis de constater à nouveau comme sa beauté est fragile. Jouer en liberté, c'est sans doute aussi accepter les soirs où les étincelles ne jaillissent pas d'elles-mêmes, et savoir prendre le courage de décevoir. A la prochaine, Messieurs!

Les mêmes au Festival Jazz & Musique Improvisée en Franche Comté, en juin 2008, un très bel extrait d'ailleurs: