Je crois bien que j'écoutais déjà Deep Purple dans le ventre de ma mère. Largement avant la puberté, en tout cas. Mon premier concert, je pense que c'était avec eux aussi, à Nancy, dans leur formation la plus fameuse, la Mk2 de Blackmore/Gillan/Glover/Lord/Paice. Voilà peut-être pourquoi Deep Purple In Rock, le premier disque que j'ai aimé, occupe toujours une place de choix dans mon classement personnel des disques parfaits, pourquoi je continue aussi de considérer les soli de gratte et de Hammond de Highway Star (!), ou l'intro d'orgue déglinguée de Speed King (!!) comme autant de moments de pur génie musical. On est peu de choses hein, mais bon ça aurait sûrement pu être pire. Et puis ce sont les premières briques de mon expérience musicale, on peut plus les enlever maintenant et de toutes façons c'est grâce à elles que tout le reste tient... Donc je continue à acheter les albums de Deep Purple, dont certains sont toujours franchement très bons (le dernier) voire excellents (Purpendicular), et d'autres, un peu moins. Et puis j'essaye d'aller les voir en concert quand je peux. La dernière fois, c'était en 1996, déjà avec Morse, et encore avec Lord aux claviers. Et c'était bon, peut-être pas aussi fin qu'avec Blackmore, mais nettement plus frais. Hier? Je passe vite sur la première partie, Café Bertrand, qui malgré son nom d'émission de radio branchouille est un groupe de hardos ancienne mode, avec les frocs en cuir, les poses ambiguës de films de gladiateurs et tout le bazar. J'ai loupé leur entrée en scène mais apparemment ils sont pas arrivés en Harley ni couverts de peaux de bêtes quand même. La musique était loin d'être nulle, cela dit, pas du tout mon trip, mais leurs riffs étaient classiques mais puissants, on n'en attendait rien de plus de toutes façons. Ca m'a aussi et surtout permis d'en rigoler après coup avec ma voisine de fosse, car oui, il y avait même des filles. Et de la bière! Et du cuir!! Bon bref, une amicale discussion avec ladite voisine et une brève altercation avec un Alsacien ivre portant permanente et perfecto comme à la grande époque plus tard, arrive Deep Purple. Pictures of Home/Things I Never Said/Strange Kind of Woman, triplette tonique sur le papier, dans les faits, ça bande mou malgré le volume sonore invraisemblablement élevé, groupe statique, pas d'impro, Gillan a la crève (déjà la dernière fois, le climat de chez nous doit pas trop lui convenir), redémarre trop tôt un des couplets de Pictures of Home (ou d'une autre, je sais plus), envoie des petits bonjours à droite à gauche, je ne sais pas pourquoi, il m'a fait penser à C Jérôme à ce moment-là... La voix déjà, et puis cette bouille souriante de sexagénaire débonnaire, pas de doute, en dix ans, il a pris dix ans, comme tous les autres et comme nous autres. J'ai l'impression d'assister à tout ça de très loin, comme si l'on avait projeté leurs petites silhouettes sur un écran géant, je regarde un peu les gens autour de moi histoire de passer le temps, ils sont assez mous eux aussi. Gillan nous dit qu'on est fantastiques et même SUPERBES, et franchement, c'est un peu exagéré. Je ne sais pas pourquoi tout a changé avec Rapture of the Deep, chanson déjà très puissante et originale dans sa version studio, et introduite ici par des plans de synthé orientalisants invoquant directement l'esprit du Purple de 1969 sans pour autant sonner comme une pâle copie, ce qui était justement la principale qualité de Rapture of the Deep - l'album, sorti l'an dernier. Ce coup-ci, quelque chose émerge du bruit, peut-être simplement parce que l'excellent riff de la chanson n'est pas encore aussi usé que ceux de Black Night ou Smoke on the Water, peut-être parce que le groupe le joue par plaisir et pas simplement par contrat, en tout cas, à partir de ce morceau, notre dinosaure s'est mis en marche pour de bon (en 1975, Deep Purple était déjà un dinosaure!). C'est d'ailleurs sur les nouveaux titres que le groupe se montre sous son meilleur jour - outre Things I Never Said et Rapture, ils ont aussi joué Wrong Man, très très lourd, là difficile de ne pas entrer dedans, et Kiss Tomorrow Goodbye, quelque part entre un vieux rock de Bo Diddley et un morceau FM de la période Slaves & Masters, une très bonne chanson taillée pour la scène, comme on dit. Par contre, aucun autre titre de l'ère Morse, rien de Purpendicular, rien d' Abandon, rien de Bananas, il y avait pourtant de quoi faire. Que des vieilleries, toujours les mêmes en plus. Certaines font toujours leur petit effet. Par exemple, je ne sais pas ce qu'ils ont fait à Fireball, ils ont dopé la batterie de Ian Paice je ne sais pas trop comment, en tout cas c'est devenu un morceau presque dansant (les épileptiques sont avantagés, là) qui ne s'exprime plus qu'à coups de ramponneaux dans le bide. Quelques joutes bien plaisantes en introduction de Lazy, qui fonctionne toujours très bien au premier degré. Mais pourquoi on se tape toujours la Well Dressed Guitar et ces plans foireux et démagogiques de Led Zeppelin ou Guns'n'Roses (!!) à la place de Cascades ou Maybe I'm Leo, mystère, pourquoi personne ne jette de tomates à Don Airey quand il ressort pour la millième fois au moins ses morceaux moisis de La Guerre des Etoiles ou d' Alouette, Gentille Alouette...? Il y a aussi eu des classiques fatigués, Smoke on the Water, Highway Star (intro-impro joliment ratée par Glover et (surtout) Morse, mais c'était quand même bien tenté), je sais pas, il y a un truc de cassé dedans maintenant. En rappel, Speed King, avec un long medley rock'n'roll pas trop convaincant, un peu bancal, pas très vif, l'impression que Steve Morse notamment était en train d'apprendre sur le tas une langue étrangère. En parlant de Morse, je l'ai souvent trouvé un peu lourdasse en rythmique, lui qui n'est pas spécialement un hard-rocker à la base, on a l'impression qu'il se sent toujours un peu obligé d'en rajouter dans l'épaisseur. Côté solos, par contre, je me suis régalé à plusieurs reprises, et Airey nous a réservé quelques bonnes surprises aussi. Glover était à peu près impeccable, il vaut mieux, c'est plus ou moins lui qui mène la barque maintenant. Et puis Black Night, allez on chante un peu, deux ou trois solos sympas, Gillan qui se plante encore un peu dans les paroles et puis bonne nuit tout le monde. Au final, quelques excellents moments, très prenants, sur une poignée de classiques revisités, et surtout sur les nouveaux morceaux, au milieu de titres nettement plus avachis et surtout pas très audacieux dans leur exécution. Probablement pas un concert inoubliable, mais bon, le groupe a sauvé les meubles. Je suis pas sûr de devoir vous dire à bientôt les gars, mais merci pour tout, quand même.

Deep Purple, fin novembre 2006, au Brésil: