L'ami Page Hamilton n'a rien perdu de son ironie : écoutez donc comment, tel un mauvais concert de hard-rock, la chanson Goodbye qui clôt ce nouveau CD n'en finit plus de finir ("So long, now it's time to say goodbye", qu'ils disaient), à grands coups de breaks, de feed-back et de montées soloïstiques suraiguës de guitare électrique. Métaphore? Pas sûr que l'étrange comeback d'Helmet, en 2004, avec un personnel totalement renouvelé, à l'exception du chanteur-guitariste, bien sûr, ait réellement déchaîné les foules, d'autant que la motivation essentielle du principal intéressé semblait être de grignoter une part (bien méritée) du gâteau nü-metal - lequel commençait pourtant déjà à sentir un peu le rance... Et après avoir écouté les deux albums post-réunion, pour lesquels Hamilton a changé à chaque fois d'accompagnateurs et de label, on se dit qu'il serait peut-être temps, pour un musicien aussi doué et polyvalent - à ce qu'il paraît - de passer à autre chose. Mais lui ne semble pas encore décidé à lâcher l'affaire... Ce Monochrome est loin d'être nul, mais pas plus que le Size Matters qui le précède, il n'arrive à la cheville des vieux albums du groupe. Il y a pourtant un peu de neuf à entendre : Monochrome, la chanson, commence comme un morceau musclé d'Elliott Smith (mais finit comme d'habitude), et Hamilton s'essaye même ça-et-là, malgré un chant de plus en plus limité, à des harmonies vocales tout ce qu'il y a de pop - et réussies. Ailleurs, le chant se fait narquois, comme si le Page rugissant d'autrefois avait été remplacé inopinément par un sale môme en pleine rébellion contre le système, mais on s'y fait assez vite, d'autant que les voix sont le plus souvent enfouies sous le grondement des guitares et le fracas des batteries. Parmi les trouvailles un peu originales, il faut mentionner aussi l'ambiance vaguement jazzy de On Your Way Down, ou cette courte digression bruitiste, Howl, qui donne une idée de ce que Page Hamilton pourrait faire s'il oubliait deux secondes le cahier des charges intenable qu'il s'est imposé en relançant Helmet. Mais voilà, l'album, produit par Wharton Tiers, le collaborateur des premiers albums (à l'époque où Helmet jouait dans la même cour que les anti-stars du grunge), est censé être celui du grand retour aux sources, et toutes les bonnes idées éparses se perdent au milieu des riffs et des harmonies typiques dans lesquels le groupe a fini par s'enfermer. Le côté brut et sans concession de la production et du songwriting de Monochrome présente quand même quelques avantages : le son des guitares est superbe, et certains refrains (ceux de Gone ou 410) dégagent une énergie quasiment punk qui manquait à l'album précédent. Il y a encore un ou deux bons riffs, beaucoup de virtuosité et quelques bonnes surprises à droite à gauche, mais les chansons sont souvent des patchworks mal foutus qui hésitent perpétuellement entre leurs vélléités pop et une fidélité outrancière au son Helmet d'autrefois. Au final, aucun des morceaux de l'album n'est tout à fait réussi - alors qu'on pouvait sauver facilement deux ou trois titres complets sur Size Matters. On a du mal à comprendre pourquoi Page Hamilton dépense autant d'énergie à essayer de ranimer son vieux groupe, alors qu'il pourrait employer ses nouvelles idées de composition dans mille autre contextes plus valorisants pour lui, pour sa guitare et pour son chant. J'espère bien avoir l'occasion de réviser mon jugement sur le groupe en allant écouter les nouveaux morceaux sur scène - en attendant qu'Hamilton se décide à tourner la page pour de bon...