A peu près tous les deux ans, quelque part vers le milieu de l'été, débarque dans les bacs le nouveau G Love ... Bizarrement, malgré la régularité du bonhomme, c'est toujours un peu par hasard que je tombe dessus, en général. Celui-ci, par exemple, Lemonade, est sorti depuis au moins quinze jours et personne ne m'en avait rien dit. En même temps, même si mon affection pour le G est intacte, il faut bien admettre que j'ai arrêté depuis longtemps d'attendre chacun de ses albums comme le Messie. Ca fait quand même une paire d'années que la routine s'est installée, et que l'on ne cherche plus vraiment à faire la différence entre tous ces raps gentils au groove tristement uniforme qu'il fabrique à la chaîne. Ceux qui, comme moi, attendaient la révolution devront patienter encore un peu. Le Ride qui inaugure le disque, aussi réussi, soit dit en passant, que les ouvertures d'albums précédentes, fleure quand même bon le G Love en pilote automatique à plusieurs kilomètres. Une chanson de G Love, sur le fond, c'est assez simple : vous prenez une batterie hip-hopisante (du genre qui fait poum-tchik, poum-poum-tchik) une ligne de basse funky sur quatre notes et deux mesures qui tournent en boucle, hop, guitare, harmo, un petit sourire pour la photo, une pincée de rap par dessus, on y est. C'est particulièrement net sur cet album-ci, vous avez entendu les cinq premières secondes, c'est bon, vous connaissez toute la chanson, on a l'impression que G Love s'est pointé en studio les mains dans les poches avec deux ou trois vagues idées de riffs et surtout une grosse envie de taper le boeuf avec les potes. Les potes en question n'ont jamais été aussi nombreux, et aussi prestigieux : les surfeurs-chanteurs Donavon Frankenreiter et Jack Jonhson - qui n'a pas oublié que c'est le G qui lui a mis le pied a l'étrier, Ben Harper, les Blackalicious, le rappeur Lateef - de Quannum, plus le vieux camarade Jasper, plus deux petits jeunes prometteurs, Tristan Prettyman (c'est une fille) et Marc Broussard... L'autre petite nouveauté, c'est que la Special Sauce est devenue un collectif à géométrie variable, sans batteur ni bassiste fixe, et souvent augmenté de percussions, d'orgues et de pianos, quand ce ne sont pas d'authentiques beats hip hop, ce qui ouvre dans les chansons de G Love de petites fenêtres sur des horizons moins familiers. Tout ce beau monde apporte donc un peu de l'air frais qui manquait à Electric Mile ou The Hustle, deux albums dont le son monolithique ne faisait qu'aggraver le cas de chansons souvent banales et bancales. Le revers de la médaille, c'est le côté "opération de la dernière chance" de l'affaire, comme si le pauvre G Love avait besoin de toutes ces béquilles pour enregistrer un disque potable et surtout, pour en vendre quelques exemplaires... C'est malheureusement peut-être un peu vrai. Quand on pense qu'il y a dix ans, ce type savait encore remplir ses singles jusqu'à la gueule d'inédits en tous genres, il en avait des dizaines en rab à chaque passage en studio - c'était à l'époque où on le comparait encore au jeune Beck... Elles sont où, les chansons, Garrett?? Ce coup-ci, on a quand même droit à deux ressucées de This Ain't Living (du premier album), avec exactement la même suite d'accords et sur l'une d'elles, le même Jasper au chant... Enfin bon, G Love n'est pas le premier à bâtir toute une carrière sur deux riffs et trois mélodies et demies, l'essentiel est peut-être ailleurs - dans ces ambiances incomparablement cool, dans la souplesse et la bonne humeur des musiciens - et malgré le côté archi-rebattu et parfois inachevé de ces chansons aux airs, aux grooves et aux paroles interchangeables, l'ensemble se laisse quand même écouter avec beaucoup de plaisir. Quelques jours après sa sortie, c'est déjà un cliché de dire que finalement, Lemonade est aussi rafraîchissant, pétillant et sucré que la boisson du même nom. Finalement, c'est même peut-être le meilleur album depuis Yeah It's That Easy, qui voyait déjà G Love collaborer avec des musiciens de tous horizons en plus de sa Special Sauce habituelle. Evidemment, dans les bacs des disquaires, on pourra trouver tout un tas de grands crus pour le prix de la limonade artisanale du G. Ca n'empêchera pas les inconditionnels d'en reprendre un petit coup quand même, et les jeunes fans de Ben Harper ou Jack Johnson de découvrir - mieux vaut tard que jamais - l'un des artistes les plus authentiques et sympathiques de la scène rock d'aujourd'hui.