Hier soir, rendez-vous donc à la fameuse et flambant neuve MJC Pichon pour un concert du pianiste (local) Pierre Alain-Goualch en duo avec le non moins fameux Médéric Collignon (cornet+une sorte de tuba non identifié par moi - excusez mon inculture - scat, human beat box, poésie, blagues de potache, etc.). La MJC Pichon, je n'ai jamais mis les pieds dans un tribunal d'instance mais c'est à peu près exactement l'idée que je m'en fais, velours bleu marine déprimants, moquette grise atroce (mais probablement très peu salissante) et rangées de chaises en bois clair aussi instables qu'inconfortables. Autant dire que pour ressortir de là avec la banane, il faut que le concert ait été sacrément bon. Sacrément bonnes, les deux heures de jazz grand angle d'hier soir le furent assurément. En première partie un groupe à géométrie variable dont j'ai malheureusement oublié le nom (imprononçable de toute façon), constitué ce soir là d'un batteur (c'est lui qui menait la barque), d'un pianiste (dont j'ai aussi oublié le nom) et du très jeune et très talentueux saxophoniste nancéien Pierre Desassis, trois excellents musiciens jouant un jazz libre, improvisé et furieusement moderne, sans jamais tomber dans le bruitisme. Un trio extrêmement solide et cohérent qui prend soin de ne jamais se laisser enfermer dans tel ou tel style, au risque de sonner parfois un peu neutre et passe-partout, ce qui explique peut-être pourquoi cette musique, pourtant de très haut niveau, ne m'a réellement atteint qu'à de très rares moments. Incontestablement, Médéric Collignon, qui lui aussi ratisse très large question influences, a un truc en plus. Ca fait à peine deux secondes qu'il est sur scène qu'on a déjà complètement oublié cette petite inquiétude qui vous prend à tous les coups après une première partie irréprochable et pourtant vaguement ennuyeuse. L'invraisemblable sens du rythme de Collignon, on se le prend déjà en pleine face, et vous avouerez que ce n'est pas courant, à partir des petites vannes ciselées et bidonnantes qui ouvrent le concert. De ses poilantes imitations façon 78 tours, on passe imperceptiblement à un scat de l'ici et maintenant qui nous coupe la chique pour de bon (on ne rigole plus), et Pierre-Alain Goualch, superbe pianiste, est entré en piste dans l'intervalle. Goualch sera régulièrement épatant tout au long du concert, malgré une tendance regrettable à laisser la vedette à son compère, préférant généralement l'accompagner en esquissant des plans parfois ptêt un peu trop minimalistes et répétitifs...? Difficile de décrire l'art protéiforme de Médéric Collignon. Le seul point commun entre son scat - qui peut emprunter d'une seconde à l'autre les voies/voix du jazz, de la soul, du qawwali ou de la bossa nova avec à chaque fois la même souplesse et la même érudition - ses délires politico-poétiques, ses bruits de bouche ou ses parties de cornet virtuoses et subtiles, c'est probablement et tout simplement le talent. Pas l'ombre d'une approximation ou d'une hésitation, et en même temps, il y a cette liberté, cette spontanéité qui traversent en permanence la musique. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, on peut pas raconter comment Médéric s'est mis à jouer pendant cinq minutes du tambour en tapant sur ses joues pendant que Pierre-Alain l'accompagnait d'une espèce de mélodie mielleuse de top 50 en voix de fausset, on ne peut pas expliquer comment on peut faire sortir des notes aussi déchirantes d'une micro-trompette de 15 cm de long. On n'a définitivement pas les mots pour décrire des solos de ...respiration comme ceux que Collignon nous a offerts à deux ou trois reprises. Il faut être un pur musicien pour arriver à assembler comme lui autant de petits bouts de n'importe quoi pour en faire de l'art, et à saupoudrer le tout d'une bonne dose d'humour par dessus le marché. Pas le choix, si ce type passe pas loin de chez vous, ou même s'il passe loin d'ailleurs, il faut y aller, il a probablement sorti des disques qui sont très bien mais il faut aller voir, et entendre Médéric Collignon. Ce qui fait que partout où il joue, c'est lui la vedette, ça n'est pas un truc qui s'explique, c'est un truc qui se vit. Allez-y.