Voilà un deuxième album qu'on attendait de pied ferme, mais l'esprit plutôt tranquille. Il y a quelque chose de végétal chez Ray, sa musique est (déjà) un peu comme un chêne centenaire, au milieu de la forêt des petits groupes en "The" poussés commes des champignons depuis quelques années et censés faire l'actualité du rock. Le temps pour Ray LaMontagne d'inspirer ou de se râcler la gorge, et la collection d'été a déjà laissé la place au catalogue automne-hiver de ces formations jetables, interchangeables, mais inexplicablement arrogantes, dont la seule ambition semble d'imiter le plus fidèlement possible le numéro un de la semaine d'avant - en vue bien sûr de lui chiper sa place. Ray, lui, n'a pas bougé d'un pouce en deux ans, il a juste un peu grandi. Hors du temps, hors des modes, loin des ego-trips stériles du show business aussi : si c'est bien lui qui partira seul au front avec ses jolies chansons en bandoulière, il n'a pas hésité, pour ce nouvel album, à confier à nouveau au producteur et multi-instrumentiste Ethan Johns (qui façonna notamment le son vintage des sympatoches Kings of Leon - sans "The") le soin de mettre en couleur ses humbles esquisses folk. Des fois, c'est vrai, la vie des chansons de Ray LaMontagne semble ne tenir qu'à un fil : que resterait-t-il de ce Gone Away From Me, par exemple, si on voulait le défaire de ses cuivres décoratifs de marching band et de son ukulélé gentiment mélancolique? Juste une petite ritournelle modèle Ben Harper de série, et bien sûr, cette voix chavirante, réconfortante, encore plus agile et caressante que sur l'album précédent, cette voix qui a réussi l'exploit, il y a quelques mois, de nous rendre supportable l'inévitable Crazy de Gnarls Barkley (repris sur la face B du single How Come), et, donc, de transformer ce Gone Away From Me a priori pas très animé en une petite aventure pour nos oreilles - déjà entraînées, sur Trouble, à pister le moindre soupir du gaillard, car les siens valent de l'or. Attention, Ray LaMontagne est tout sauf une voix-pantin tombée entre les mains habiles d'un musicien de studio doué et roué. D'un bout à l'autre de l'album, on entend bien que ce type a une vision musicale, un champ d'obsessions à sillonner. Les lubies en question sont d'ailleurs encore plus évidentes ici que sur Trouble, Ray sortant à plusieurs reprises de sa douillette ornière folk/jazz/country pour s'offrir des incursions plus franches en territoire rythm'n'blues (le rutilant single Three More Days, cautionné par le Wurlitzer de John Medeski, dans son rôle habituel, et qui vient nous rappeler que le premier nom de scène de l'artiste était Ray Charles LaMontagne), ou blues tout court (le quasi-hookerien You Can Bring Me Flowers). C'est finalement lorsqu'il évolue dans ces univers ultra-codifiés et connotés que LaMontagne prend le plus de risques, mais il sait à chaque fois éviter l'écueil du pastiche douteux grâce à sa sincérité proverbiale, et à des arrangements toujours aussi astucieux (les cuivres et la flûte jazzy/psyché, très John Mayall, qui viennent apporter un peu de fraîcheur au rugueux You Can Bring Me Flowers susmentionné). Ces arrangements impressionnent aussi, dès le premier morceau, par leur démesure, on est même un peu étonné de retrouver le très modeste Ray dans de telles fringues de luxe, mais de toute façon, tout lui va, d'autant que le soin méticuleux accordé à l'enchaînement des morceaux fait que ni le ukulele, ni les guitares espagnoles, ni le cor d'harmonie ne tombent sur les chansons comme des cheveux sur la soupe (écoutez-moi donc la façon dont les quatre derniers morceaux du disque se suivent sans se ressembler et vous verrez de quoi je parle). La voix souple et puissante de Ray vient tout naturellement remplir ces grands espaces sonores, l'affaire est entendue, mais il faudrait aussi parler des talents émergents du guitariste Ray LaMontagne. Sur Trouble, la guitare acoustique faisait avant tout office de colonne vertébrale pour les chansons, dans la plus pure tradition folk. Ici, LaMontagne et Ethan Johns la placent d'emblée sur un pied d'égalité mélodique et rythmique avec les grands orchestres, les percussions et les instruments électrifiés en tous genres qu'on croise sur le disque, tantôt gratouillant là où ça vous démangeait, tantôt sobrement bouclée à la main comme sur un album de trip hop d'avant les albums et le trip hop, tantôt cristalline et élégiaque... Pas étonnant que juste muni de sa voix, de sa vieille folk et de ses chansons délicates, le Ray parvienne à mettre les foules en transes partout où il passe. Et j'ai bien l'impression que dans trente ou cinquante ans, il en sera toujours ainsi. Je ne vois pas ce qui pourrait empêcher la nouvelle idole des jeunes et des moins jeunes de continuer à enregistrer de ces superbes classiques modernes, en creusant toujours plus profond dans la musique populaire américaine, et à nous raconter ces petites histoires un peu tragiques qui ressemblent tant à celles qui font nos humbles vies.